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Textes chroniques - Page 6

  • Un écrivain en pyjama se livre sur les quais

    Charismatique, lumineux, pénétrant. Dany Laferrière. Le président d'honneur du Livre sur les quais est de ces auteurs que tout le monde apprécie. Il a commis des titres tels que Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer ou L’Art presque perdu de ne rien faire. Il siège pourtant à l’Académie française. Haïtien de naissance laferriere©Jf+Paga++Grasset_0.jpgmais québécois d’adoption, il écrit avec l’énergie des tremblements de terre et la quiétude de l’herbe qui sommeille sous des mètres de neige.

    Si la foule du festival vous refuse de tailler une bavette avec lui, offrez-vous une soirée en tête à tête en dégustant son délicieux Journal d’un écrivain en pyjama.

    Après trente années de métier, Dany Laferrière s’adresse à ses lecteurs. Il parle de l’art d’écrire, mais aussi de celui, indissociable, de lire. Il désacralise la création, ouvre le débat, lance des discussions, offre des conseils et prête à rire.

    De la vague envie d’écrire au roman publié, toutes les étapes sont abordées : choix de la première phrase, peur de la page blanche, dosage des adjectifs (« prenez une machette, fermez les yeux, et taillez-moi cette broussaille. Enlevez un adjectif sur deux, et vous verrez mieux devant vous »).

    C’est une ode à la simplicité (« quand vous cherchez depuis un moment à décrire la pluie qui tombe, essayez : il pleut »), à la sincérité (« on écrit le plus près de soi pos­sible, et c'est ce qui nous rapproche le plus des autres ») et à l’humour (« j’ai un ami qui, pour se mettre en train, a besoin de lire un écrivain si mauvais que ça lui donne l’impression de pouvoir faire mieux »).

    C’est un ouvrage plein d’encouragements pour les jeunes auteurs, avec quelques piques adressées à ses collègues, dont vous croiserez quelques spécimen lors du Livre sur les quais :

    « L’écriture est une étrange passion dont il faut retarder le plus longtemps l’explosion si on ne veut pas se retrouver, plus tard, avec un goût de cendre dans la bouche. Rien de plus terrible qu’un écrivain qui a terminé son œuvre trop longtemps avant sa mort ».

  • Pourquoi être devenu écrivain ?

    Réponse à cette question posée dans le cadre d'un tandem littéraire lors du Salon du livre et de la presse de Genève 2016 :

     

    La faute à un Piaggio de 1978 avec des roues à rayons et un grand autocollant « Skateboarding is not a crime », un vélomoteur acheté d’occasion à un Egyptien de Renens, Mansour Farag Waguih, son nom était inscrit sur ma carte grise.

    La voiture est confinée, la moto est brusque et le vélo se laisse distraire par le muscle. Le boguet, lui, se conduit d’une main, casque pendu au guidon, trente kilomètres à l’heure au plat, un peu plus si on se penche en avant, quinze, vingt ou trente minutes de contemplation à pleins poumons, ce qu’il faut pour rêver juste, rêver éveillé, s’imaginer un autre, plus vaste, apercevoir la mer, à une quinzaine d’heures de route, et que dire de la nuit, ce petit halo de vie concrète sur le bord de la chaussée.

    Ce sont ces heures de disponibilité qui m’ont fait écrivain.

    Ou pas.

    La question « Comment êtes-vous devenu écrivain ? » revient souvent. La plupart du temps, je réponds : c’est la faute à un excédent de vécu, un an et demi de voyage solitaire en Asie et en Afrique, entre 2001 et 2003, un vécu qu’il a fallu formuler et fixer pour pouvoir le digérer et le partager… A force de le répéter, j’ai fini par y croire, mais c’est faux. Les voyageurs pondent rarement des livres. Et jamais, depuis que je ne voyage plus vraiment, l’écriture ne s’est autant imposée à moi.

    Alors quoi ?

    D’abord, il y a un livre, à 17 ans. Entre une étude de fonction du deuxième degré et un documentaire sur les civilisations précolombiennes - prends ça dans ta gueule ! - Moravagine de Blaise Cendrars. C’est sa faute si je ne suis pas aujourd’hui microtechnicien. Je ne résiste pas à l’envie de recopier ici quelques lignes de sa postface :

    « Travaux forcés, vie de bagne durant de longs mois alors que les trains roulent, que les bateaux vont et viennent, et que je ne suis pas à bord, et que des hommes et des femmes se réveillent, et que je pourrai être là pour leur dire bonjour. Il faut vraiment avoir une réserve énorme de bonheur emmagasiné pour se mettre délibérément dans cette situation d’outlaw qui est celle des hommes de lettres dans la société contemporaine ».

    Un voyage et un livre ? C’est un peu plus compliqué que cela.

    Au commencement, il y a, je crois, une conscience précoce de la mort. De la mienne et de celle des autres. Quand on est immortel, on pratique un métier, on achète des objets, on part en vacances. Quand on se sait mortel, il y a d’autres urgences, il faut planter des cerisiers, faire des bébés et écrire des lettres, des poèmes, des romans.

    Il y a aussi un constat pessimiste sur la capacité des être humains à communiquer entre eux, à se comprendre. L’écriture et la lecture sont à cet égard l’exception. Ils sont la discussion idéale. Un émetteur cherche ses mots, des mois durant, personne ne l’interrompt. Le récepteur n’a ensuite rien d’autre à faire que les absorber, s’en imprégner, des heures durant, à travers les siècles, à travers les continents. Puis les rôles s’inversent.

    Il y a hélas des causes plus sournoises, cathartiques, névrotiques : régressions narcissiques, fantasmes de permanence, mécanismes de défense, troubles obsessionnels compulsifs…

    Il y a surtout un engagement - ne riez pas - un engagement diffus, nébuleux, mais un engagement tout de même contre tout ce qui est prévisible, tout ce qui est gâché, tout ce qui est laid et bruyant, tout ce qui est simpliste et brutal.

    Quand j’écris – même si c’est pour évoquer un archipel du bout du monde ou une vieille actrice oubliée – j’ai toujours mal à mon actualité, à ma Suisse, pauvre, esseulée et dépressive, à ma Syrie, ma Libye, mon Congo, mal à mes femmes violées, mes hommes torturés et mes enfants privés d’enfance.

  • Cacher le soleil avec la main

    C’est parfois sur le chemin du retour, marchant au bord d’une route asphaltée, par 35 degrés à l’ombre, sans ombre… que se précisent de vagues intuitions : dans une heure ou deux, je serai à nouveau en ville et il ne subsistera rien de cette autre vie possible, là-haut, le vertige, le silence feutré, la paix.

    Dans la nature, je me dissous, je suis comblé, ravi, mais pas fécondé. J’essaierai de fixer quelques impressions, les soustraire à la fuite du temps… en vain.

    C’est comme être bouleversé par un film, sans trouver les mots pour en parler.

    Cette nature, je l’ai eue dans les cuisses, les tympans, les pupilles, j’ai humé son air, sué sur ses courbes, siesté sur l’un de ses replats, bu son eau, elle m’a traversé de part en part, mais pas une phrase, pas un mot. Elle refuse de s’allonger sur le papier.

    Je pourrais m’asseoir dans l’herbe et peindre, avec des pigments naturels et l’eau des ruisseaux. Enregistrer des ambiances sonores. Ou donner dans l’art conceptuel, suspendre ma paire de Salomon aux murs d’une galerie, et dire : voilà ma nature !

    En écriture, il est plus difficile de sublimer son impuissance.

    Ce n’est pas qu’une question de lexique. C’est une erreur de perspective : je n’ai jamais su me mettre à la place de l’herbe, du vent, de l’aigle.

    La cervelle n’est pas l’organe privilégié du contact avec la nature, elle en est plutôt le filtre. Elle ne sait la saisir dans sa totalité, son unité.

    J’appréhende la nature comme un touriste, un randonneur, pire, un sportif. Plus compétents sont les chasseurs, les bûcherons, les garde-forestiers. Je me crois supérieur car libre de la contempler – sans fusil, sans tronçonneuse, sans mandat – mais c’est l’inverse.

    Lorsque je suis parmi les éléments, je me recroqueville sur l’homme, et donc sur moi-même. Les paysages défilent sur ma rétine, je n’en retiens que des aspérités superficielles : indications de sentiers pédestres, mantras tibétains, bâtons télescopiques… Je note ce que je sais plutôt que ce que je sens.

    expo_2006_hainard_portrait_l.jpgLes mots justes, je les trouverai finalement dans l’un des essais, hélas méconnus, du graveur animalier genevois Robert Hainard :

    « Le chasseur primitif, entraîné à apprécier une empreinte à peine marquée, l’herbe froissée, à reconnaître dans la pénombre l’ondulation d’une échine, à coordonner tout instinctivement le mouvement de son bras projetant la sagaie et celui de l’animal en fuite, était merveilleusement apte à saisir la réalité plastique dans sa mouvante unité. L’homme moderne, habitué à tout traduire en mécanismes, pièces détachées, définies, rigides, morcelant les choses en mots et en signes, abruti de bruits industriels et de publicité, de panneaux énormes, de lettres de feu, ne voyant plus que ce qui est signalisé en noir sur blanc, en est toujours plus incapable » (Défense de l’image, 1967). 

  • Désobéir parfois

    Les réfugiés hébergés par le Collectif R depuis un an dans le sous-sol de l’église réformée Saint-Laurent, à Lausanne, ont dû « migrer », une fois de plus, vers la chapelle catholique Mon-Gré.

    Courageux Gabriel Pittet, l’abbé en charge de de cette paroisse. Très vite, ses supérieurs hiérarchiques ont déploré ce partenariat avec un collectif aux méthodes jugées trop radicales. Et bientôt peut-être, l’Etat s’opposera à cette « incitation au séjour illégal ».

    L’abbé, lui, se contente de citer Saint Pierre : « Il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes ». Le mois dernier, il a vu son pape accueillir au Vatican trois familles syriennes…

    On peut l’accuser d’angélisme (mot fétiche de ceux qui trouvent plus raisonnable et pragmatique de ne rien faire) ou de naïveté (le terme employé par Philippe Leuba pour qualifier le collectif R). En partageant l’intimité des réfugiés, l’abbé ne les voit plus comme un indice statistique de ce que l’on appelle « crise migratoire », ou « fardeau de l’asile ». Ce ne sont plus des migrants en situation de renvoi, des non-entrées en matière, des cas Dublin. Ils retrouvent un prénom, une histoire, une famille, un projet de vie.

    Essayez ! Voilà une femme, 21 ans, née dans la Corne de l’Afrique, son père a dû s’exiler en Suisse, sa mère l’a abandonnée, la police l’a tabassée, violée. N-a-t-elle pas le droit de rejoindre son père ? Et le père, habitant Lausanne depuis quinze ans, qui travaille, parle français et paie ses impôts, n-a-t-il pas le droit de vivre avec sa fille ? Cette dernière vient de recevoir son plan de vol…

    L’Histoire montre qu’il faut (aurait fallu) parfois désobéir, refuser d’être complice, ne pas appliquer aveuglément des lois, si elles sont arbitraires, violentes, injustes et indignes. Comme le sont les accords de Dublin.

    Cela éviterait qu’à l’avenir, dans quelques dizaines d’années - quand les historiens auront étudié cette triste période pendant laquelle l’Europe tout entière a fermé sa porte aux victimes de guerres dont elle est en partie responsable - nous ayons un petit peu honte.

  • En attendant l'ibis chauve

    La quête débute au sous-sol de la Bibliothèque de Genève, en salle de lecture surveillée, devant une gravure sur bois de Conrad Gesner trouvée en page 337 du troisième volume de son Historiae animalium parue en 1555.

    corvo+sylvatico.JPGParmi les deux cents espèces d’oiseaux consignées, le savant décrit, en latin, le corvo sylvatico, le corbeau des forêts, celui que l’on nomme aujourd’hui : ibis chauve.

    Du temps de Gessner, il ne se rencontrait déjà plus que dans quelques vallées boisées des Alpes suisse. Vers 1600, c’était fini, plus un seul individu ne nichait en Europe. La faute au refroidissement du climat, selon certains. Gessner lance une autre piste : « Les jeunes ibis sont aussi très appréciés pour la table et tenus pour une friandise, car ils ont une chair agréable et des membres tendres »…

    En 2016, il n’en reste que quelques centaines de spécimens à l’état sauvage, au Maroc, en Turquie, en Syrie. Ces colonies se dépeuplent d’année en année.

    Pour le voir, il faut se rendre au Zoo de la Garenne, à Le Vaud.

    « Tirez s'il vous plait. » Je pousse la porte d’une immense volière, la plus haute d’Europe. A l’intérieur, des mangeoires à foin pour les jeunes bouquetins et la réplique d’une paroi rocheuse avec des pierres issues de carrières jurassiennes. Au sommet, la silhouette de trois vautours, dont un gypaète barbu.

    - Merci de rester sur le sentier, on est en train de planter…

    Elle est charmante, elle a un piercing sur la narine droite et une patience édifiante envers les visiteurs, elle porte un chapeau de cow-girl et un T-shirt noir avec NATURALISTE écrit dans le dos.

    ibis-chauve.jpgDeux ibis chauves marchent tranquillement au pied de la paroi. Ils vont béqueter des vers dans un bac en plastique que le visiteur ne peut que deviner. La naturaliste dit qu’ils n’ont pas encore de prénom, qu’on n’est pas encore certain de leur sexe, qu’ils ont été rachetés au zoo de Goldau.

    Les ibis vont ensuite se désaltérer dans une marre volontairement aménagée à un mètre du sentier. Pas pratique de boire avec ce long bec rectiligne, il faut pencher la tête. On voit tous les détails, les croûtes sur le crâne, l'iris des plumes, les pattes puissantes.

    Ces deux-là ont perdu leurs instincts. Ils sont les descendants d’un aïeul traqué, capturé, emprisonné. Ils sont là comme dans une arche de Noé, ils sont les monuments vivants de leur propre disparition.

    Je devrais dénoncer cette mise en scène, l’observation prémâchée. Je devrais plaindre les ibis, voir dans leurs yeux éteints l’assurance d’une vie sans surprise, un territoire trop petit, des déplacements trop répétitifs. Je devrais écrire qu’un zoo reste un enclos, un lieu d’emprisonnement, de conditionnement. Que c’est de l’élevage, de la régulation, de la reproduction assistée…

    C’est étrange, je suis très touché de le voir pour la première fois.

  • Une chronique qui a l’odeur du plomb

    Marre du curseur qui clignote sur l’écran? Marre des messages virtuels? Allez visiter le dernier sanctuaire de la plus belle invention de l’Homme!

    galerie_15_0006-1.jpgImaginez cette page. En 1980. Chaque lettre est un caractère de plomb tiré d’une lourde casse à l’aide d’une pince, et disposé à l’envers. On fait du 1'500 signes à l’heure. L’interligne? Des barrettes de différentes largeurs. Le correcteur orthographique? Le compositeur-typographe lui-même.

    - Faut avoir bon caractère pour faire bonne impression !

    Celui qui a de l’humour transmet ensuite sa galée, son texte composé, à celui qui porte une salopette bleue, c’est un manuel, « un intellec’truelle », comme il dit. Son marteau de caoutchouc nivelle les caractères. Sa spatule étale l’encre sur les rouleaux de la presse. Il actionne des manettes à pommeau, il supervise la manœuvre en grimpant sur un marchepied…

    On se croirait au 19ème siècle. Et c’était hier. A peine une trentaine d’années.

    Après cinq siècles d’existence, la géniale invention de Gutenberg est morte.

    D’urgence, il faut donc visiter l’Atelier-Musée Encre & Plomb, une imprimerie à l’ancienne sise à Chavannes-près-Renens. Et si vous n’y allez pas… c’est eux qui viendront à vous, à Morges, lors du prochain Livre sur les Quais, en septembre prochain !

    Ce sera une pause salutaire pour la génération électronique, un pied de nez à la culture de l’instantané. L’odeur de l’encre, le grain du papier, les cliquetis des presses.

    Ce sera le contraire de cette chronique. Le contraire d’un document numérique balancé sur la plateforme virtuelle blog.24heures.ch avec une photo volée sur le site web de l'Atelier-Musée...

    Le journaliste ira à nouveau boire des coups avec le typographe, quand le journal est bouclé. Au Café des Bouchers, ils échangeront une pile de journaux encore chauds contre un « Steak Tribune », quatre cents grammes au bas mot ! Le typographe racontera alors ses pires souvenirs. Quand il avait dû refaire cinq fois sa première page, en 1969, le jour de la conquête de la lune. Ou le jour de l’élection de Paul Chaudet, quand il avait laissé passer en titre de Une : « ON A UN NOUVEAU CON-

    SEILLER FEDERAL ».

  • « Friendsheep » contre le populisme

    Refus de l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers          

    Il serait déplacé de crier ici ma joie. Pourtant… c’est une quadruple bonne nouvelle !

    D’abord, pour la responsabilisation citoyenne. La participation nationale est la plus forte depuis 1992 ! Et merde pour ceux qui ont dit : ça sert à rien, c’est toujours les vieux et les Suisses-allemands qui décident.

    Ce vote montre aussi un beau sursaut démocratique. L’électorat a su résister à la récupération, la falsification, la simplification, les tout-ménages nauséabonds, les affiches qui font gerber. Il a écouté, lu, réfléchi et simplement confirmé son attachement pour la séparation des pouvoirs, l’égalité devant la justice et le respect des droits humains.

    A l’heure où l’Europe se barricade et multiplie les mesures radicales, extrémistes, la Suisse fait souffler une petite brise d’espoir. Elle dit sa solidarité envers ses « étrangers », c’est à dire envers le quart de sa population (qui n’a pas le droit de vote). Elle remercie ses voisins segundos, ses collègues terceros, ceux qui font les petites tâches ingrates et ceux qui creuseront le deuxième tube.

    femme_udc.jpgEnfin, cette votation a pris un visage inattendu : l’humour. Contre les millions du parti de la peur, le peuple a su s’approprier la campagne en se montrant créatif. Outre les appels et les pétitions, il y a eu des centaines de vidéos publiées en lignes, drôles et intelligentes, comme celles de Thomas Wiesel, des détournements d’affiches (« Ma femme vote UDC. Voter UDC n’est pas une fatalité. Parlons-en ! 0800/787.832 ») ou de slogans (« Pour mieux protéger nos femmes et nos filles… commençons par les élire ! »), 12743728_1118846081495582_7558517438679320048_n.jpgdes parodies de livres pour enfants (MARTINE apprend qui sera renvoyé). La palme revient à un dessin de Patrick Chappatte montrant un juge blochérien demander à l’accusé : Vous plaidez étranger ou non-étranger ?

    Alors, même si cela est déplacé, pour ce 28 février, je crie : WHOOPEEEE !!!

  • L’air bête sans l’hermine

    On n’en voulait plus de ce marais. Pendant un siècle, pour étendre les terres agricoles, on avait canalisé, drainé, bétonné – « assaini », comme on dit. On avait même, par endroits, enterré la Seymaz, la seule rivière cent pourcents genevoise.

    Et puis, depuis une bonne dizaine d’années, on a cassé le béton, les drains, les canaux –« renaturé », comme on dit. On a même posé des panneaux : Attention chaussée inondable. Et le revoilà, à cheval entre les communes de Meinier et de Choulex, le marais de Sionnet.

    Il est à nouveau un paradis pour la flore, les oiseaux migrateurs et les espèces autochtones en voie de disparition. Un paradis souvent victime de son succès. Car les chiens se promènent sans laisse. Les chevaux rappliquent au trot, au galop. Les photographes, tous plus ou moins ornithologues, viennent en masse répertorier, heure par heure, les espèces observées, et tout balancer en ligne. On vient alors de France, et même de Suisse allemande. Il n’est pas rare que pour faire « la » bonne photo, on enfreigne la mise à ban de certaines parcelles.

    Ce matin, la plaine est calme, elle sommeille sous une brume dense, basse, écossaise. Les Alpes de Haute-Savoie, on ne les voit pas, elles sont de l’autre côté du ciel. Un ciel si bas qu’il fait l’humilité, a-t-on envie de chantonner.

    On rêve en secret de surprendre un sanglier, un castor, un lièvre, un renard. Les chances sont infimes. On voit un héron cendré posté près d’un troupeau de moutons, un faucon crécerelle qui sèche ses ailes sur un peuplier truffé de gui, un martin pêcheur très peu farouche et quelques poules d'eau dans les roseaux.


    On est surtout venu voir l’hermine. Avec les jours raccourcis, elle arbore sa tenue hivernale de camouflage, une robe toute blanche, toute pure, à l'exception de sa queue qui est noire. Une petite bête, fine, souple, hyperactive, un calvaire pour lesdits photographes qui doivent s’armer d’un puissant autofocus et d’une longue focale pour la capturer dans la position dite du « chandelier », dressée sur ses pattes arrières.

    C’est le mois idéal pour la voir. Elle est forcée de sortir et de chasser les campagnols par dizaine pour lutter contre le froid. En plus, sans neige, son blanc se voit de loin.

    On marche, on marche beaucoup, on scrute les prairies tondues ras, on s’attarde près des haies, près des terriers.

    Mais rien.

    Rien sinon… un beau lot de consolation. Entre la route et les ruines du château de Rouelbeau, près de l’étang, on a droit à de sacrées retrouvailles. Un cou qui se rallonge lorsqu’il se sent observé. Une démarche à l'égyptienne, maladroite. Des pattes puissantes, disproportionnées. C’est un butor étoilé ! L’oiseau dont je parlais dans ces mêmes colonnes il y a tout juste un an…

    La boucle est bouclée, il est temps peut-être de passer à autre chose.

  • Génération Charlie

    Je souhaitais lier cette chronique à l’hommage rendu à Morges par la Maison de la Presse au journal satirique Charlie Hebdo, aux dessinateurs, à la tuerie. L’exposition mérite une visite mais qu’ajouter à tout ce qui a déjà été dit ?

    Prolonger ici la minute de silence observée jeudi soir dernier lors du vernissage ? Peut-être bien. Car les événements survenus en France en 2015 - et surtout les réactions qui ont suivi : état d’urgence, état de guerre et bombardements - glacent le sang.

    Qui dit guerre dit réfugiés. Qui dit réfugiés dit accueil de réfugiés. Qu’ils furent beaux, ces premiers témoignages d’humanité envers les Syriens, les distributions d’habits, de nourriture, en Autriche, en Allemagne... Mais la peur, mais la haine, les promesses de renvois, les prises de position contre un peuple, contre une culture, contre une religion.

    Réchauffement climatique ou pas, l’actualité glace le sang. Quelque chose de grave est en train de se passer, et les mots manquent.

    JMGLeclezio.jpgIl faut demander de l’aide… Au lendemain du massacre du 7 janvier, J.M.G. Le Clézio s’adressait ainsi à sa fille dans une lettre ouverte :

    « Trois assassins, nés et grandis en France, ont horrifié le monde par la barbarie de leur crime. Mais ils ne sont pas des barbares. Ils sont tels qu’on peut en croiser tous les jours, au lycée, dans le métro, dans la vie quotidienne. A un certain point de leur vie, ils ont basculé dans la délinquance, parce qu’ils ont eu de mauvaises fréquentations, parce qu’ils ont été mis en échec à l’école, parce que la vie autour d’eux ne leur offrait rien qu’un monde fermé où ils n’avaient pas leur place. »

    9953562-charlie-chaplin-etait-aussi-un-ecrivain-de-gauche.jpgDe l’aide encore, au seul qui aurait eu le droit de s’écrier : Je suis Charlie ! On est en 1940, la guerre fait rage et le cinéma ne peut plus rester muet. Charlie... Chaplin fait alors dire au héros de son Dictateur :

    « Nous sommes trop mécanisés et nous manquons d’humanité. Nous sommes trop cultivés et nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités humaines, la vie n’est plus que violence et tout est perdu […] Ne désespérez pas ! Le malheur qui est sur nous n’est que le produit éphémère de l’habilité, de l’amertume de ceux qui ont peur des progrès qu’accomplit l’Humanité. »

  • Nuit de « swarming » dans le Jura

    - Si tu glisses là-dedans, c’est pas l’ambulance, c’est le corbillard qu’on appelle !

    Ils sont six, six hommes au lieudit « La Petite Chaux », six lampes frontales par -6°C dans une forêt moussue, près du col du Marchairuz. Six chiroptérologues au milieu de la nuit, près d’un gouffre profond de trois cents mètres qui héberge des centaines de chauves-souris. C’est une nuit de « swarming », une nuit de rut, elles seront des centaines à se retrouver ici pour se reproduire.

    L’un est chargé de libérer les chiroptères pris dans les filets qu’ils ont tendus tout autour du gouffre et les glisser dans de petits sachets de tissus. Il est le garde-génisses des Begnines, l’alpage voisin, il vit avec une femme universitaire et un enfant de six mois. Il connaît bien Maïté, du Pré de l’Haut Dessous, près du col du Mollendruz, l’une des seules bergères indépendantes du Jura.

    plecaur2.jpgLe second porte un bonnet de laine turquoise, des lunettes fines et une barbe d’un mois. Il a le mandat de l’inventaire, l’autorisation du canton et un vaccin contre la rage. Il est celui qui manipule les cinq espèces de chauve-souris que nous verrons cette nuit : l’Oreillard roux, une verrue près de l’œil, le Murin de Bechstein, de gigantesques oreilles, le Murin de Daubenton, de grosses pattes, le Murin de Natterer, un long tragus, et le Murin à moustaches, le seul à émettre des cris audibles. Il les pèse sur une balance électronique : entre cinq et sept grammes. Il mesure la taille de leurs phalanges, de leur épididyme, de leurs testicules. Il relève le numéro de la bague prise dans leur avant-bras, ou leur en pose une, délicatement : matricule « G2821 ».

    Assis sur une chaise de camping, le troisième reporte scrupuleusement les observations du second dans un tableau à quinze colonnes.

    Les trois derniers sont de jeunes amoureux de la nature. L’un photographie les spécimens capturés, il est déjà connaisseur et rêve de voir un jour la Grande Noctule - cinquante centimètres d’envergure ! - on en voit paraît-il parfois au col de Jaman. L’autre a eu la bonne idée d’amener un cake au chocolat. Le dernier, hélas, je ne m’en souviens pas.

    Assis sur une pierre, le peintre animalier genevois Pierre Baumgart est aussi de la partie. Il tient une chauve-souris dans la main gauche, un crayon dans la droite. Il n’a que quelques minutes pour finaliser son croquis, histoire d’éviter qu’elle ne souffre du froid. Sa créature est un pur produit de science-fiction, on la dirait inventée par Giger !

    Les voir de si près, c’est un spectacle inouï. Dire qu’on les clouait aux portes des granges pour conjurer le mauvais sort. Dire qu’elles sont aujourd’hui menacées de disparaître, à cause des pesticides, de la densification des habitations, de l’agriculture intensive, de la fragmentation forestière…

    Au milieu d’une nuit de septembre, j’entends pour la première fois le brame d’un cerf.