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Textes chroniques - Page 9

  • Au siècle passé, Federer était morgien, et écrivain

    AVT_Claude-Anet_1247.jpgIl n’a pourtant donné son nom - Claude Anet qu’à une ruelle en bordure du rail et de l’autoroute, un chemin planqué derrière l’avenue Paderewski.

    Il naît à Morges en 1868, il grandit dans une famille protestante, il s’appelle encore Jean Schopfer.

    En 1892, il remporte le Championnat de France international de tennis, le tournoi qui allait s’appeler… Roland Garros.

    Dix ans plus tard, il publie, sous le pseudonyme Claude Anet, un recueil de nouvelles intitulé Petite ville. Son préambule parle de la Coquette :

    « Ma petite ville ne compte que 6'000 habitants, des mœurs bourgeoises, discrètes, paisibles ; elle est presque en retrait de l’existence. Dans les statistiques judiciaires, elle doit figurer au rang le plus honorable ; les délits y sont rares, les crimes inconnus. Pourtant elle a ses drames. »

    Puis il s’en va, il se retrouve en Perse. Téhéran était alors « à dix jours de Paris pour un voyageur pressé ». Il y retourne deux fois, il apprend le farsi, il traduit une centaine de quatrains d’Omar Khayyam, le poète qui chantait, en terre d’Islam, il y a mille ans, les femmes et le vin.

    Claude Anet travaille ensuite comme reporter pour Le Petit Parisien, il apprend le russe, il couvre la Révolution d’Octobre, il laisse quatre volumes de chroniques.

    A son retour, il rédige deux chefs-d’œuvre, Ariane, jeune fille russe (1920), qui a failli lui valoir le Prix Goncourt, et Mayerling (1930), qui connaîtra deux adaptations cinématographiques, dont une de Terence Young.

    Mon coup de cœur est un petit livre, aussi frivole qu’impitoyable, Notes sur l’amour. En Russie, l’auteur avait connu la passion, spontanée, imprévue, « bouillonnement de forces désordonnées, presque vierges, incontrôlables ». Elle ressurgit dans ce petit traité radical :

    « On ne choisit pas sa maîtresse. Elle vous tombe dessus. Quelques-uns ajoutent : comme une tuile. »

    « La jalousie est le meilleur antidote connu de l’amour. Elle le tue certainement… chez l’autre. »

    « Es-tu amoureux ? Sache à l’avance que ton amour n’a pas une chance sur dix mille d’être durable. Agis pourtant comme s’il devait être éternel, car dans le domaine de l’amour, tout arrive, et tel qui pensait être parti pour un voyage d’un mois se trouve embarqué pour la vie. »

    Etc.

  • Une « fondue-calèche » avant l’hiver

    Ce dimanche d’octobre, le réchauffement climatique avait du bon. Rendez-vous à une heure buvable à Concise, « première commune vaudoise », quand on vient de Neuchâtel.

    calechesjaggi-concise-3-1.jpgNous attendent deux Franches-Montagnes de 12 et 24 ans attelées à une calèche de fabrication polonaise. Le cocher l’a ramenée du Salon du Cheval de Paris. Bien sûr à cheval ! Claude Jaggi rallie aussi chaque année en calèche le Musée du Cheval de La Sarraz à la foire agricole de l’OLMA, à Saint-Gall.

    Pour ce midi d’octobre, l’itinéraire est plus modeste. Deux-trois heures de « fondue-calèche », à cheval sur trois communes de la rive ouest du lac de Neuchâtel. Une idée toute simple et un franc succès depuis cinq ans.

    A l’allure du pas. De part et d’autre d’une table en érable qui intègre un réchaud à fondue ; Claude est menuisier. A la sortie du village, sa femme Danièle lâche Zora, une chienne hyperactive qui s’en va en éclaireuse. Le cocher parle à ses juments, il salue les passants par leur prénom, il s’adresse surtout à ses invités. C’est un Œil de Perdrix d’André Leuenberger et un salami de cheval aux noix, tout vient de la Maison des Terroirs à Grandson ! Des anecdotes à la pelle, une montagne d’humour et une répartie à vous donner des crampes d’estomac. On passe rapidement au « tu ».

    Sur le Chemin des Pêcheurs, on apprend que les terrains du bord du lac avaient été vendus jadis à un promoteur pour 80 centimes le mètre carré (la commune n’en voulait pas), puis revendu à des Zurichois et des Genevois ! Ici, c’est la cabane des pêcheurs, Alain et Philippe Auberson, les rois de la bondelle fumée ! Plus loin, sur la commune d’Onnens, les immenses hangars que vient de vendre Phillip Morris ! On traverse la double voie ferrée, l’A5 semi enterrée, il est temps d’allumer le réchaud. Le paysage défile, la spatule tourne, le fromage fond, l’ambiance prend. Claude évoque sa spécialité, la fondue aux truffes, celle qu’il servira au Marché aux Truffes, le week-end suivant, ici-même, à Bonvillars. A l’heure du coup du milieu - une bouteille de kirsch enveloppée de ficelle dans un « gratte » en osier - on traverse les vignobles fraîchement vendangés...

    Mais déjà Concise, station terminus. La calèche se range en prolongement de la terrasse du Restaurant du Lac et Gare, pour le café. On pensait avoir fait le tour. C’était sans connaître la passion des Jaggi pour leur région. Quoi ? Vous ne connaissez pas le Mont-Aubert ? On vous y conduit !

    Le dimanche s’achève donc à 1339 mètres d’altitude, sur un nid d’aigle qui domine le lac de Neuchâtel, à hauteur des Aiguilles de Baumes. Devant nous, les Alpes, d’une rare clarté, on distingue le Cervin. Un tableau à conserver soigneusement au fond de soi, pour mieux affronter l’hiver.

  • Quand Charles Dickens parle des vendanges en Suisse

    A l’heure où nos vignerons aiguisent leurs sécateDickens.jpgurs ou huilent leur machine à vendanger, préparent leurs cageots jaunes ou louent une remorque à bascule, convoquent des amis ou un contingent de saisonniers polonais, voici, en guise de récolte précoce, quelques lignes, les bonnes feuilles de Charles Dickens.

    Que disent les personnages du plus grand romancier anglais du XIXe siècle quand ils traversent la Suisse romande en pleines vendanges ? La réponse au premier chapitre du livre II de La Petite Dorrit, un roman publié dans les années 1850 :

    « C’étaient les vendanges dans les vallées du versant suisse du col du Grand-Saint-Bernard et le long des rives du lac de Genève. L’air était lourd des senteurs du raisin cueilli. Des paniers, des hottes, des baquets pleins de raisin qu’on avait transportés toute la journée le long des routes et des chemins, encombraient les seuils assombris des maisons dans les villages et obstruaient leurs étroites rues abruptes. »

    Rien ne semble avoir changé en un siècle et demi (sinon le nom du lac Léman). La suite trahit toutefois les attentes d’un touriste britannique de l’époque qui recherche une Suisse naturelle, primitive et arriérée :

    « La paysanne qui regagnait péniblement sa demeure calmait de quelques raisins glanés ça et là l’enfant pendu à son épaule ; l’idiot qui réchauffait au soleil son énorme goitre, assis sous l’auvent du chalet de bois au bord du sentier de la cascade, mâchonnait des raisins ; l’haleine même des vaches et des chèvres exhalait l’odeur des feuilles de vigne et des râpes de raisin ; dans la moindre auberge, la compagnie attablée mangeait, buvait, parlait raisins. »

    La caricature peut blesser. Mais elle ferait presque regretter une époque qui mettait les vendanges au centre des préoccupations sociales. Dickens nous parle de villages quasi autarciques, d’une Suisse qui n’importait pas encore les 60% du vin consommé...

    Le couperet tombe véritablement en fin de description :

    « Quel dommage que cette généreuses abondance ne pût communiquer sa saveur de fruit mûr au vin de ces mêmes raisins ! »

    Cette fois, les mots de Dickens ont mal vieilli. Ils tournent au vinaigre. Nos vins ne sont plus aujourd’hui les piquettes âpres et râpeuses de nos aïeuls. Ils n’ont plus rien à envier à leurs voisins français. Les quotas ont affiné la qualité, les cépages se sont diversifiés et la vinification s’est bonifiée avec les années.

    Souhaitons que, malgré le mois de juillet pluvieux et l’invasion de la drosophile « suzukii », la cuvée 2014 continue de contredire les appréciations de Dickens !

  • Comment sommes-nous devenus si cons ?

    Ils sont 200'000 à s’être précipités dans un kiosque (parfois une librairie) pour se désennuyer en essorant le torchon vengeur de la cocue présidentielle.

    Bentolila.jpgHasard du calendrier, le règlement de compte de Valérie Trierweiler, l’ex Première dame de France, sortait en même temps que le nouvel essai du linguiste Alain Bentolila : Comment sommes-nous devenus si cons ?. Son titre provocateur contredit une étude bien ficelée, basée sur des enquêtes de terrain.

    L’auteur s’en prend à toutes les formes de paresse intellectuelle. Il commence par épingler la « grande anesthésiste », la télévision, son culte du prévisible, du déjà-vu, du déjà-su, la perte du désir de l’inconnu. Il en veut aux animateurs de débat qui interdisent à leurs invités les développements trop longs et trop compliqués. « La petite anecdote, le coup de gueule péremptoire sont les modes d’expression les plus appréciés ; ils sont ce qui va faire de vous un bon client et vous assurer de fréquentes invitations sur les plateaux. »

    Autre cheval de bataille, les discours politiques actuels : la peur de lasser, de ne pas être compris, de ne pas aguicher, le ton populiste, complaisant ou scandaleux, la rhétorique sirupeuse qui déresponsabilise, « enfume » et « euphémise ».

    Alain Bentolila dénonce les travers d’une société de l’immédiat qui méprise la complexité, l’écoute de l’autre, la contradiction. D’une école qui n’enseigne plus le goût de l’effort, de la pensée méticuleuse, laborieuse et méthodique. Des nouvelles pédagogies qui se persuadent depuis trente ans que l’élève construit lui-même son savoir, au gré de ses désirs et de ses envies.

    « Nous sommes devenus cons parce que nous avons renoncé à cultiver notre intelligence commune comme on cultive un champ pour nourrir les siens. Oubliés le questionnement ferme, le raisonnement rigoureux, la réfutation exigeante, toutes activités tenues aujourd’hui pour ringardes et terriblement ennuyeuses. »

    Merci, Valérie Trierweiler, pour ce moment de détente qui fait oublier, 320 pages durant (un très long Paris Match), les vrais enjeux de la politique !

  • « La Venoge » fête ses 60 ans !

    Jean-Villard_Gilles_(1975)_by_Erling_Mandelmann.jpgLe poème-monument vaudois "La Venoge" fête cette année ses 60 ans. L’occasion de parcourir, de la source à l’embouchure, cette rivière célébrée par le chansonnier Jean-Villard Gilles.

     

    « Faut un rude effort entre nous / Pour la suivre de bout en bout... » Du pied du Jura au lac Léman, de L’Isle à Saint-Sulpice, 23 villages, 41 kilomètres : «Car, au lieu de prendre au plus court, / Elle fait de puissants détours. »

    Le pèlerinage débute au Chaudron, une source vauclusienne à la lumière bleue, irréelle. L’eau est si claire qu’on la boit au creux de la main. L’endroit idéal pour relire les quatorze strophes du poème :

    « On a un bien joli canton… »

    Faut-il appuyer l’accent, comme le faisait Gilles ? N’était-il pas sarcastique ? Simplement nostalgique ? Ses années parisiennes n’avaient-elles pas fait de lui « un paria sans attaches, déracinés », comme il le dit lui-même en 1939, à la veille de son retour au pays ?

    On emporte ces questions sans réponse le long du ruisseau, jusqu’à L’Isle, son bassin majestueux, son jet d’eau et son château du 17ème siècle surnommé « le Versailles vaudois », en plus modeste évidemment.

    On voyage ensuite comme Gilles, lorsqu’il partait découvrir le pays, durant la guerre. « A pied, bien entendu, c’est-à-dire à bicyclette, ce parfait moyen de locomotion ». Les restrictions d’essence avaient alors fait disparaître les voitures. « Il n’y avait rien entre la Suisse et nous que la vérité, la lumière, le silence », écrit-il dans le récit autobiographique Mon demi-siècle.

    A L’Isle, les drapeaux sont vaudois, avant d’être suisses. Des wagons du train aux tracteurs John Deere, tout est vert et blanc.

    A Cuarnens, le visiteur peut descendre à l’Hôtel de France. Un clin d’œil à la deuxième patrie du chansonnier ?

    jean-villard-gilles-vaud-serie-d-ete-la-venoge-vaudois-jean-villard-gilles-chanson.jpg

    A Ferreyre, un sentier forestier laisse la Venoge au fond d’un ravin. On se rapproche de la Tine de Conflens. La confluence des eaux du Veyron et de la Venoge creuse ici une profonde gorge entre des falaises moussues. Un canyon avec une chute d’eau, un petit lac, et personne pour gâcher le paysage. « Il y a encore des coins préservés. Nous en connaissons… Chut ! N’en parlons pas. Il faut sauver ce qu’il en reste », conseille le poète dans le recueil Amicalement vôtre.

    Pardonne-moi, Gilles.

    On t’imagine volontiers ici, bavardant avec ton ami Georgy Rosset, celui qui t’avait fait découvrir la Venoge. Un juge cantonal, pêcheur à ses heures, ou le contraire. Et te voilà déjà griffonnant deux octosyllabes. « Elle offre même à ses badauds /
 Des visions de Colorado »…

    J’ai tout faux. « La Venoge » est née en Bretagne. Gilles vivait alors à Paris et aimait se retirer à Port-Manech, près de Concarneau, face à l’océan. « Je vis apparaître sur cette surface immobile, comme en filigrane, une ligne sinueuse autour de laquelle un paysage familier surgit du fond des eaux, couvrant l’Océan de collines verdoyantes, de bois, de vergers, et même de petits villages. Il n’y avait pas de doutes, c’était mon lointain pays vaudois qui flottait, ô mirage !, comme une carte, sur la mer. La ligne sinueuse au milieu, c’était la Venoge ! »

    Jaillit l’inspiration d’un poème que Gilles intègre aussitôt à son tour de chant parisien. En coulisses, un jeune chanteur belge, qui faisait ses débuts au cabaret « Chez Gilles », entend « La Venoge ». Elle lui donne envie d’en faire autant pour son pays. Il écrit… « Le Plat Pays ».

    Arrivé à La Sarraz, on pédale plus au nord jusqu’à Pompaples, surnommé « Le Milieu du Monde ». C’est le point de partage des eaux entre le bassin du Rhône et celui du Rhin, entre la Méditerranée et la Mer du Nord. C’est aussi la grande peur de Gilles. « Qu’un rien de plus, / Cré nom de sort ! /
 Elle était sur le versant nord !».

    Sauvé ! La Venoge descend droit sur Cossonay. Mais plus un seul méandre sur six kilomètres. Des digues rectilignes. Sans vie. C’est le tronçon de la honte. Des années que les autorités promettent de « renaturer » ces rives ! Puisse-t-on très bientôt prendre soin de la rivière emblématique des Vaudois…

    A Daillens, une rue porte le nom du poète, de même qu’une salle des fêtes. C’est le village d’origine du père de Gilles.

    On roule entre le rail et la rivière et on croit rêver quand on croise un TGV. A ce rythme, il sera à Paris avant qu’on ne soit à l’embouchure.

    La Venoge s’industrialise peu à peu. Elle donne son nom au centre commercial de Penthalaz. Moins campagnarde, en phase avec son temps, à l’image des Vaudois. Elle suit son cours, discrète, imperturbable, faussement docile. A l’abri des regards, réfugiée dans la forêt, à Bussigny, Ecublens ou Denges, elle se faufile entre les zones industrielles, passe sous des ponts ferroviaires et autoroutiers. On est en ville et on surprend un héron, un pêcheur, des arbres rongés par les castors, des plages de sable. Plusieurs kilomètres d’émerveillement. Si bien qu’on préfèrerait ne pas voir les premiers bateaux de plaisance qui annoncent le lac.

    A l’embouchure, on se trouve face à la France, « le pays des Allobroges ». A l’ouest, les Genevois, ceux qui « N’ont qu’un tout petit bout du Rhône ». A l’est, « un glacier, aux Diablerets », le Lavaux et le village du poète…

    « La Venoge », c’était aussi le surnom que donnait le facteur de Saint-Saphorin à Evelyne, la femme de Gilles.

    (Hebdo, 3.7.2014, Photo Sédrik Nemeth / Philippe Dutoit RDB / ATP)

  • TRUCKSTOP POETRY

    Ulysse-Frechelin-American-Trucks-Lupton_Lres.jpgUne poussière ocre dans ses jantes lustrées, des nébuleuses blafardes dans le chrome de ses avertisseurs, une constellation de rivets sur son ciel arrondi, l’insolence de sa statue de proue. Ce qui consume l’objectif est d’un esthétisme absolu. Lignes téméraires, teintes exubérantes, volumes monumentaux. Même le ciel est surdimensionné, dense, intense.

    Mars 2013, dans un truckstop qui marque la frontière entre l’Arizona et le Nouveau Mexique, entre les villes de Holbrook et de Gallup, le photographe suisse Ulysse Fréchelin, 35 ans, a le coup de foudre pour un « Pete three seventy-nine », un camion américain Peterbilt 379 orange vif.

    Ulysse-Frechelin-American-Trucks-Stainless-Steel-Woman_Lres.jpgUne nature morte ? Et puis quoi encore ! Par-delà sa carrosserie rutilante : les fragrances du bitume brûlant, le boucan des klaxons, le smog des exhaust pipe et le franc-parler des truckers.

    Le photographe n’avalera les kilomètres que dans l’espoir d’en revoir. Les paysages lunaires sont des décors. Les Mexicains, les Rednecks et les Indiens, des figurants, un pâle reflet sur du verni. Ce qu’il traque entre Albuquerque et Santa Fe, ce sont les montures de métal de ces cowboys contemporains - des Freightliner, des Kenworth, des Western Star - les vaisseaux de ces poètes de l’asphalte.

     

    Ulysse-Frechelin-American-Trucks-Blue-Back_Lres.jpg« Ces couleurs en disent long sur les Américains et, pour moi, sur l’un de leurs plus grands traits de caractère : ils osent. »

    Ulysse Fréchelin

     

    frechelin_standard_edition.jpgLivre Trucks, 100 p.

    Expo photo à la M.A.D.GALLERY

    Genève, Rue Verdaine 11

     

     

  • C’est aussi ça, le foot !

    Mekhloufi5.jpgAlgérie, 1958. L’international français Rachid Mekloufi abandonne l’AS Saint-Etienne et ses espoirs de disputer la Coupe du monde. Il rejoint clandestinement l’Algérie, en pleine guerre d’indépendance, et fonde l’équipe nationale d’un pays qui ne verra le jour que quatre ans plus tard.

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    Brésil, 1970. Une dictature militaire censure, déporte, emprisonne, torture et tue. Le milieu vedette du club de Botafogo lance «la révolte des barbus». Afonsinho refuse de raser sa barbe et couper ses longs cheveux, signes ostentatoires de gauchisme et d’opposition. Pour ces raisons, il ne jouera jamais en sélection nationale.

    carlos-caszely.jpgChili, 1974. Lors de la Coupe du monde en Allemagne, la sélection chilienne est reçue par le général Pinochet. Le buteur Carlos Caszely refuse de lui serrer la main, et le paie cher. Sa mère est arrêtée, torturée. En 1988, Caszely réalise un clip de campagne contre Pinochet. Sa mère y témoigne. Ce film aura un grand impact sur la destitution du dictateur.

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    Brésil, 1983. Une nouvelle ère, les clubs impriment le nom de leur sponsor sur les maillots. Socrates, la star des Corinthians de Sao Paulo, convainc ses coéquipiers de le remplacer par  le mot « Democracia ». Lors de la finale du championnat, l’équipe entre sur le terrain avec une banderole, « gagner ou perdre, mais toujours en démocratie ».

    media.media.7623fc4c-6d28-48ff-9301-2d5becf42e71.normalized.jpegBosnie-Herzégovine, 1994. Malgré les bombardements et le siège de Sarajevo, Predrag Pasic, un ancien joueur de l’équipe nationale de Yougoslavie, choisit de rester dans sa ville natale et d’y fonder une école de football multi ethnique.

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    Angleterre, 1997. En quart de finale de la Coupe des coupes, l’avant-centre de Liverpool Robbie Fowler marque, relève son maillot et exhibe un T-Shirt sur lequel le téléspectateur lit : « 500 dockers de Liverpool congédiés depuis 1995 ». On lui inflige une amende.

     

    indio_copa300x400.jpgBrésil, 2014. Lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde, trois enfants entrent dans le stade de Sao Polo. Un Blanc, une Noire et un Indien. Ils lâchent une colombe blanche sur le rond central devant les caméras du monde entier.

    En quittant le terrain, le jeune Indien sort de sa poche une banderole rouge sur laquelle il est écrit « Demarcação ». Un appel pour que le gouvernement poursuive la démarcation des terres indiennes et fasse cesser les expulsions.

    Ce geste de protestation n’est pas retransmis par les télévisions du monde entier.

  • Nav’ de nuit en mer des Caraïbes

    PetitPiton.jpgLagon turquoise et palmiers émeraude. La baie de la Jalousie, au sud-ouest de l’île de Sainte-Lucie, dans les Petites Antilles, est un croissant de sable blanc bordé de deux aiguilles volcaniques, le Gros Piton et le Petit Piton, deux merveilles culminant à 700 mètres au-dessus du niveau de la mer des Caraïbes.

    Un voilier nommé ZeBreak mouille dans la baie, un ketch de 37 pieds, pavillon suisse flottant en poupe, un fameux deux-mâts presque aussi fin qu’un oiseau. Au coucher de soleil, verre de ti-punch à la main, on donne raison au poète : « Elle est retrouvée. /
Quoi ? L'Eternité. /
C'est la mer allée / Avec le soleil ».

    Une fois la nuit tombée, le capitaine et ses matelots se préparent à faire cap sur Saint-Vincent-et-les-Grenadines. On plie le hamac tendu à la proue, suspend l’annexe, désencombre le cockpit et largue les amarres.

    A la lueur des étoiles, le Petit Piton est un aileron de requin. Le Gros, une pyramide. La voie lactée traverse un ciel comme on n’en fait plus chez nous. La mer se forme lentement. Dix-huit nœuds sud-est. On prend un ris et étarque la grande voile. On déroule le génois et borde l’écoute sous le vent. On remonte au près, à sept nœuds, bâbord amures. On ne hissera pas l’artimon, on ne déroulera pas la trinquette, on naviguera en père peinard.

    Lorsque ZeBreak n’est plus sous le vent de Sainte-Lucie, la mer se creuse. Le vent aussi se lève, ça tangue, on a trop de gîte, on prend un deuxième ris et roule un bout de génois.

    A minuit, on prend le premier quart, avec gilet de sauvetage et ligne de vie. Ce n’est pas le radeau de la Méduse. Aux jumelles, un point lumineux devient cargo. On loffe, il abat, on le laisse à tribord, il passe à plus d’un mile.

    Le pilote automatique affiche 171°. Le canal VHF 16 donne la météo du lendemain. Le GPS mesure la vitesse, le cap et la durée estimée de la navigation, seize heures vingt. Deux écrans digitaux signalent la profondeur des eaux et la force du vent.

    On pourrait déplorer cette mainmise technologique, regretter les siècles de navigation aux étoiles, se désoler de la voile moderne, loisir de plaisance ou sport de compétition pour millionnaires…

    Pourtant la magie opère. Fendre l’eau, le vent, le silence, la nuit.

    Ces vagues qui s’amusent des sept tonnes de notre ketch. Ces sept tonnes qui filent à toute allure par la simple propulsion du vent. Ce mouvement élémentaire. Dans l’air. Sur l’eau. Comme jadis.

    Il nous prend alors l’envie d’entonner un tonitruant « Santiano », de rendre un hommage, même dissonant, aux « Copains d’abord », d’évoquer Belle-Île-en-Mer, Marie-Galante, Saint-Vincent...

    2Pitons.jpgA midi, faisant l’ascension du Gros Piton, la sueur avait su mettre du sel dans nos vies.

    Vers minuit, l’émotion qui perle dans nos yeux rappelle que l’eau de mer a toujours coulé dans nos veines.

  • Xochitl Borel, premier roman essentiel

    Xochtil Borel.png« Adéquat » est le pire mot de la langue française, c’est pourquoi le premier roman de Xochitl Borel est une ode à la vie instinctive, un réquisitoire contre la grisaille des  distances intellectuelles.

    Par soucis d’adéquation, Soledad, la narratrice, a troqué sa robe à fleur d’enfant contre un tailleur de dame, et son innocence contre de bonnes notes, des mentions, des distinctions. L’étudiante en droit, devenue « une tête », a failli perdre le goût du bonheur. Un goût de bonbon au miel, selon elle.

    Dans un contexte où les mères sont mortes ou très malades, les pères insensibles ou incestueux, où les ventres se tricotent comme des mensonges ou des secrets de famille, il faut revenir à quelque chose de plus simple.

    L’Alphabet des anges n’est donc pas né par la tête mais par le ventre. C’est un roman arrondi, humide, avec des rires en cascade et des torrents de larmes. On se livre, on s’arrose de sel jusqu’à s’aveugler, on s’apprivoise, et les rires se suspendent comme des guirlandes. La femme stérile par accident comprend soudain celle enceinte par miracle ; le cérébral s’éprend de l’instinctive ; la fleur de peau pardonne au bloc de marbre. Les mondes convergent. Le psychologue de la petite enfance envoie valser ses postulats épistémologiques pour gagner la complicité d’une fillette ; la maladie autorise le sévère à ouvrir une lucarne de tendresse ; l’arrogante affronte ses propres démons, montre à nouveau du doigt un vol d’oiseau. Et les familles se recomposent.

    Le seul personnage qui n’entre jamais en adéquation, qui ne « fait jamais le nécessaire », est une gamine de 6 ans, la véritable héroïne du roman : « il y avait sous sa chevelure feuillue et insoumise tant de poésie désarmante, prête à s’engager et à supporter, prête surtout à aimer ».

    Quand les petites filles font du piano ou du violon, Aneth souffle dans une trompette, en salopette. Alimentée autant par la pulsion de vie que l’instinct de survie, c’est un fort caractère qui ne se laisse enfermer ni par ses handicaps, ni par les contraintes d’une école normative qui se moque des étrangetés - oreilles atrophiées ou yeux crevés - et distribue hâtivement  des étiquettes : haut potentiel, caractéristiques autistiques, intelligence précoce, etc.

    Réticente à la soustraction, au solfège et à l’orthographe, Aneth s’invente une langue : « l’alphabet, mais sans l’orthographe. Juste le mouvement des lettres ». Elle développe un humour premier degré, des jeux de mots au pied de la lettre. Elle s’accroche à la vie, évolue au rythme des plantes, naturellement, avec des airs de petit animal, à l’image de Basilic, son alter ego, un chien borgne comme elle qui mordrait aussi volontiers les mollets des hommes pressés.

    Il faut lire L’Alphabet des anges comme un poème en prose. Des phrases courtes, simples et sans crainte de la répétition. Un rythme organique, sans rien de trop. Xochitl Borel ne se regarde pas écrire ; elle parle l’enfant, cette poésie « en attente de presque rien » qui tord les normes de l’alphabet selon la fantaisie des anges. On reprend alors aux origines de la langue, on réapprend à lire, écrire, et voilà le résultat : « un jour en fil de coton, les nuages en couverture d’horizon ».

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    Xochitl Borel

    L'alphabet des anges

    éd. de L’Aire

  • Quand Tweeter renouvelle la littérature

    Il y a eu le « blog2print », un blog transformé en bouquin, puis l’ « egobook », un profil Facebook relié en format livre. Paraissent aujourd’hui les premiers recueils Tweeter.

    Paris, canal Saint-Martin. Le Comptoir Général, un vaste espace aménagé dans une ancienne étable, un lieu branché, très festif et un peu militant, organise une rencontre avec l’auteur Sear - prononcez « Cheur » et comprenez « Signataire Eternel d'Articles Radicaux », rien que ça.

    Sear-Get-Busy-Down-With-This-©-Aurore-Vinot.jpgNé dans le 9-3, en Seine Saint-Denis, de père kabyle et de mère yougoslave, Sear est un pur produit des banlieues. Un géant, la quarantaine nonchalante, lunettes sérieuses, crâne rasé, fringué de pied en cap avec la marque Fila.

    Sear est venu présenter Interdit aux bâtards, un condensé de cinq années de ses « gazouillis » sur Tweeter, un « best of » de messages n’excédant pas 140 signes. Visiblement plus à l’aise seul derrière son écran qu’avec un micro face à ses lecteurs, il parle comme il écrit, de manière cinglante, brève, définitive, souvent cocasse, parfois obscène, violente même, toujours d’une honnêteté désarmante.

    Fidèle à sa griffe, il traite des banlieues, « entre l'amour et la haine, la frontière est mince, et chez nous elle a un nom : périphérique », de la crise, « marre de ce soleil, on se croirait en vacances alors qu’on est juste au chômage », du mal-être, « ne nous suicidons pas maintenant, on a encore des gens à décevoir », de politique, « j’ai jamais voté à Secret Story ni à la Starac’, pourquoi j’aurais voté aux primaires socialistes ? », de réseaux sociaux, « c’est décidé, j’arrête les statuts de connard ! Dorénavant, je fais comme tout le monde, je poste que des citations de Paul Coelho », de popularité, « putain, j’ai que 3’592 amis. A mon âge, Jean-Pierre Hutin en avait déjà 30 millions »

    Tweeter et littérature font bon ménage depuis quelques années. Salman Rushdie, Haruki Murakami et même Paulo Coelho tweetent. Gabriel Garcia Marquez twittait. Sean franchit une étape supplémentaire en fixant ses « punchlines » sur papier. Avec brio car les 140 signes impartis aux « twitts » le forcent à densifier sa prose. Cet exercice de style renoue avec la fulgurance du haïku. L’aphorisme se fait coup de poing. Le lecteur passe du rire à l’émoi, de l'absurde au concret, du personnel à l'universel. Interdit aux bâtards parle mieux de la banlieue que la plupart des romans sociaux.

    C’est frappant de voir qu’à l’heure où l’on craint que la Toile et les liseuses tuent le livre, certains font marche arrière. Ça rassure. Facebook est déjà dépassé, Twitter le sera très bientôt. Internet vieillit encore plus vite que la télévision. Et ni l’un ni l’autre n'a eu la peau de la littérature sur papier.

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    Sean

    Interdit aux bâtard

    éd. Le Gri-Gri