On évoque souvent le 6 décembre 1992 en des termes strictement politiques et économiques : on pèse les bénéfices, on évalue les pertes. Mais qu’en est-il de la «mentalité» que traduit ce vote? A la mémoire des 49,7% de Suisses qui avaient voté oui ce dimanche dit «noir», laissons la parole à Charles-Ferdinand Ramuz et Max Frisch.
Histoire de nous souvenir que tous les cantons romands avaient alors (à tort ou à raison) voulu monter dans le train européen (les Vaudois à 78,3%), imaginons l’échange d’un Suisse romand et d’un Suisse allemand, deux hommes qui ont su vivre «à l’étranger», le premier à Paris et le second à Rome.
Patriote mais pas nationaliste, Charles-Ferdinand Ramuz a toujours placé la région au dessus de la nation (et l’Europe est une région !). Il nous aurait certainement mis en garde contre un trop frileux repli sur nos frontières : «l’être trop isolé est un être malade. L’être qui ne communique pas est un être condamné. Nous sommes un pays de neurasthéniques et qui ne veulent pas le voir ».
Le programme politique de Ramuz aurait surpris bon nombre de ses admirateurs invétérés : « gouverner, c’est distinguer de loin où il serait désirable d’aller et distinguer ensuite comment on peut y atteindre ; ce qui suppose d’abord la possibilité de se déplacer politiquement, économiquement et socialement, on veut dire à l’extérieur comme à l’intérieur de l’Etat. Or c’est précisément cette possibilité que nous n’avons pas ; car encore nous sommes neutres ».
Sûr que Max Frisch (décédé un an avant le vote) n’aurait pas non plus entendu ce choix comme une preuve d’indépendance : « on ne peut pas parler de liberté avec ces Suisses, tout simplement parce qu’ils ne supportent pas qu’on la mette en doute, cette liberté, qu’on la considère comme un problème et non comme un monopole de la Suisse. D’ailleurs, toute question franchement posée leur fait peur ; ils ne pensent jamais au-delà de ce qui leur assure une réponse toute prête, une réponse pratique, une réponse qui leur soit utile. »
Si nombreux sont ceux qui saluent aujourd’hui un vote courageux, l’écrivain zurichois y aurait davantage vu les symptômes d’une angoisse viscérale : « leur peur de l’avenir, leur peur d’être pauvres un jour peut-être, leur peur de la vie, leur peur de mourir sans assurance-vie, leur peur tous azimuts, leur peur de voir le monde se transformer, leur peur quasi panique devant l’aventure intellectuelle ».
Charles-Ferdinand et Max, revenez quand vous voulez !
Le 6 décembre 1992, la Suisse refusait à 50,3% le Traité sur l’Espace économique européen / Max Frisch, Stiller, 1954. C.-F. Ramuz, Besoin de grandeur, 1937.



Quand je fais mes paiements chez le «géant jaune», je prend un ticket d’attente, soupire, puis ouvre au hasard cette même petite cinquantaine de livres à gros tirages (l’idéal pour allumer une cheminée ?) ; la postière n’a pas le temps de parler littérature.
Au printemps 2008, j’entrais en Libye, juste avant l’affaire Hannibal (qui m’aurait fermé les portes du pays). Je me souviens. Les bakchichs de la douane de Ras al-Jedir, l’obligation d’être «escorté» par un guide officiel, les véhicules estampillés «Tourism security» qui veillaient au respect de la procédure, l’interdiction de photographier les affiches du Guide, l’interdiction même de prononcer son nom.
Imagine 300 étudiants réunis dans l’aula d’un gymnase pour visionner un documentaire intitulé
Un vol Lufthansa pour Sarajevo. Un rêve jailli du siècle passé. Juste une ligne sur le panneau des départs. Ligne rouge, vol annulé. Satanée éruption du volcan
Ne faisant partie du million de Suisses à avoir consommé l’Avatar de James Cameron, je me suis racheté avec l’