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Textes chroniques - Page 15

  • 1948-2008: toute une vie dans un camp de réfugiés

    1164944973.jpgBEYROUTH Entre un portrait de Yasser Arafat et diverses propagandes djihadistes, un slogan: “nous voulons rentrer, même sous les décombres” (photo). Bienvenue dans le camp palestinien de Burj El Barajneh, dans la banlieue sud, le plus grand des trois camps de Beyrouth.

    Une centaine de mètres ont suffi - le temps de constater l'anarchie des fils électriques et les impacts de balles sur les murs (photo) - un homme me “prend en charge”, me conduit vers le “chef de la sécurité”, qui à son tour m'achemine vers le réceptionniste anglophone de la Ligue des Sociétés de 1200444845.jpgla Croix-Rouge (celle qui a ouvert le camp en 1948). Ce dernier peut m'expliquer qu'une “visite” du camp nécessite une autorisation officielle et qu'il est strictement interdit de prendre des photos. Après réflexion, il convainc la “sécurité” de me laisser rencontrer le personnel de l'ONG Beit Atfal Assumoud, active dans le camp depuis 1976, juste après le massacre de Tal Al Zaatar.

    1269094032.jpgDans les locaux de l'ONG, une responsable me raconte que son père est arrivé dans ce camp à l'âge de 12 ans, en 1948. Des photos d'archives montrent que ce n'était alors qu'une succession de tentes sur un terrain vague (photo). En 2008, le campement de Burj El Barajneh est devenu une ville de 18'000 habitants (à l'origine, ce camp d'un kilomètre carré ne devait pas accueuillir plus de 10'000 réfugiés).

    Dans les locaux de l'ONG, chacun y va de sa critique. “L'état libanais refuse aux Palestiniens de pratiquer 73 professions. Le secteur public nous est fermé. On ne peut ni élire, ni se porter candidat, alors que certains d'entre nous vivons ici depuis 60 ans!” Les médecins palestiniens ne peuvent pratiquer qu'au sein du camp et puisque le métier de journaliste est interdit, le camp publie un magazine nommé Jerusalem. L'un envie le sort de ses compatriotes réfugiés en Syrie et en Jordanie: “là-bas, ils peuvent même devenir ministre”. L'autre se plaint des injustices salariales. Ceux qui travaillent dans la construction et celles qui font des travaux de nettoyage ne bénéficient pas de congés payés et gagnent bien moins que les employés libanais. Un dernier considère ce camp comme un "ghetto". Selon lui, seul 10% des Palestiniens de Beyrouth vivent en dehors des camps, d'une part parce que les Nations unies paient le “loyer” du camp à l'état libanais, et d'autre part, parce qu'il faut être résident pour acheter un appartement à Beyrouth (et seuls les réfugiés de 1948 et de 1956 ont ce privilège). Des propos aussitôt contredits par une femme qui a épousé un Libanais. Tous deux ont décidé d'élever ensemble leurs enfants dans le camp, "parce qu'il y règne un vrai esprit communautaire”...

    2073715566.jpgLa discussion aurait pu durer des heures, mais un membre de la "sécurité" était chargé de me racompagner à la sortie...

    819441.jpgPas vraiment rassasié, je fais le tour du camp et y pénètre à nouveau côté sud. Cette fois encore, une centaine de mètres suffisent. Mais le jeune homme qui m'accoste ne veut... que m'inviter chez lui pour boire un thé. On s'engouffre dans le dédale des ruelles. (deux hommes peuvent à peine se croiser). Des barbiers, des petits commerces et même un cybercafé.

    Contrastant avec l'insalubrité des ruelles, le salon de la famille de Saïd est coquet. Une télévision géante retransmet la prière de La Mecque. Pensant me faire plaisir, il zappe sur MTV. Un clip de Mariah Carey. Sur une étagère, un petit bout de choux tout blond, le fils de son frère exilé à Malmö après avoir marié une Suédoise. Sa mère a pu lui rendre visite (visas délivrés aux parents), mais Saïd, comme tout réfugié, ne pourrait quitter le Liban qu'illégalement.

    1806764114.jpgSaïd me prend ensuite avec lui sur son scooter (le seul moyen de transport envisageable dans le camp) pour aller chercher ses deux nièces à la sortie de l'école. Gérée par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), l'établissement se trouve en dehors du camp. Le chemin du retour à quatre sur la selle.

    2039118924.jpgLa visite se poursuit. Saïd me présente son meilleur ami. À 33 ans, Abou Saleh tient un petit salon de coiffure (photo prise depuis l'intérieur). Son frère a été assassiné en 2005, à l'âge de 25 ans, pour des raisons restées inconnues. Sa mère est décédée l'an dernier des suites d'une erreur médicale dans un hôpital de Beyrouth. Il n'a aucune foi en la politique: “Arafat n'était pas meilleur que les Américains”. Pour lui, seul le Hezbollah fait quelque chose pour la Palestine. Il les soutient, même s'il est sunnite et eux chiites, même s'ils voudront à terme faire de Jérusalem une ville chiite et que tout sera à recommencer... Abou Saleh se lâche. Il n'en peut plus de ne pas savoir que choisir: marier la femme palestinienne qu'il a fiancée ou s'enfuir en Belgique rejoindre son frère, même si ce dernier dit détester sa vie bruxelloise. Ce qu'il veut à tout prix, c'est obtenir une nationalité étrangère, le seul moyen de pouvoir un jour visiter la Palestine. "En menant une vie de réfugié, on ne fait rien pour la cause palestinienne”.

    Ils sont 400'000 au Liban à attendre ainsi de revoir un jour ce pays qu'il n'ont pour la plupart jamais vu.

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    D'autres témoignages de réfugiés à Burj El Barajneh, des infos onusiennes, des  photos et, pour conclure sur une touche positive, un présentation de Katibe 5, un groupe de hip-hop né dans le camp de Burj El Barajneh.

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  • Du Yacht Club au Night Club en passant par la guerre

    BEYROUTH Comme parachuté rue Ibn Sina, couloir sordide où s'agglutinent le Night Club 70, le Night Club Stark, le Night Club La Licorne, le Night Club Excelllence... et la pension Valery, qui – j'aurais pu m'en douter – fait aussi office de maison de passe. M'enfin. L'ambiance y est familiale. Que demander de plus.

    752846349.jpgLe gérant de la pension (photo) lit son horoscope en français, mais préfère converser en anglais. Il a mauvaise mine (on conseille aux Scorpions de prendre du repos), mais bon caractère. Affichés sur les quatre parois de sa réception - qui sert de salon, de cuisine et de lieu de “transaction” - une dizaine de portraits de Rafiq Hariri, le premier ministre libanais assassiné le 22 février 2005. “Le monde n'a jamais connu meilleur politicien!” Oh non, mieux vaut ne pas parler au gérant de Fouad Siniora, reconduit premier ministre le 28 mai dernier. Il pourrait devenir grossier.

    1022011226.jpgSi l'enquête balbutie toujours, pas l'ombre d'un doute, Rafiq Hariri a bien été assassiné à deux pas de la rue Ibn Sina. Les bâtiments voisins de l'explosion (photo) en témoignent. Au quatrième étage, comme des pendus qui nargueraient les passants, des blocs de béton sont encore suspendus à leur tige d'acier.

    2072858872.jpgToujours à deux pas de la rue Ibn Sina s'est inauguré en février dernier un monument à la mémoire de Rafiq Hariri. Une plaquette porte le nom des 19 Libanais et des 3 Syriens morts lors de l'attentat. Une statue du défunt (photo), une colonne gravée de citations et, en boucle, des chansons composées en son honneur. Le gardien du site montre volontiers sur son téléphone portable des vidéos de l'inauguration. Ce Palestinien, dont les parents ont émigré  au Liban en 1948, est né à Beyrouth, a servi pendant trente ans dans l'équipe de Rafiq Hariri et rêve, un jour, de rentrer en Cisjordanie... Si je vous raconte tout cela, c'est que la place qui accueuille le monument en dit long sur le nouveau Beyrouth:

    1531853374.jpgLIBAN 2008 La photo est prise du onzième étage de l'Intercontinental Phoenicia (l'hôtel tire-t-il son nom des origines phéniciennes de la ville ou du fait que cette dernière renaît sans cesse de ses cendres tel un Phoenix?). La banque HSBC (à gauche sur la photo) affiche le slogan “Get a free solar power water heather with every home loan”. À ses côtés, trois bâtiments délabrés se souviennent de l'attentat. Puis, sans transition, le Yacht Club Saint Georges, avec dans sa baie le “Samar”, un yacht muni d'un hélicoptère qui appartiendrait à un Koweitien. Sur le trottoir, de jeunes Libanais et Libanaises (!) font leur jogging en tenue peu coranique, ipod dans les oreilles. Les moins jeunes marchent à un bon rythme, parfois un chapelet dans la main. Sur la route défilent les décapotables et 366803044.jpgles tout-terrains surdimensionnés: ce Beyrouth-là semble apprécier les signes ostentatoires de richesse. En dehors du champ de la photo, sur le mode vertical, une vingtaine de grues bâtissent, de jour comme de nuit, une demi-douzaine de gratte-ciel de luxe. Sur le mode horizontal, un “Jardin Rafic Hariri” est en construction. Juste derrière l'Intercontinental Phoenicia, les vingt étages creux de l'ancien hôtel Holiday Inn (photo), le premier immeuble bombardé lors de la guerre civile, en avril 1975.

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  • Ceci n'est pas un boycott

    ISRAEL Sur le mont Sinaï - foyer des trois monothéismes - je considérais Israël comme une évidence. D'autant que ses douaniers appliquent volontiers leur tampon sur des “feuilles volantes”, et non sur le passport, pour ne pas condamner une entrée ultérieure au Liban ou en Syrie, deux pays fermés à ceux qui auraient décidé de vérifier en Israël si ce que l'on raconte est vrai.

    J'aurais ensuite embarqué à Haïfa dans un ferry pour Chypre, et de là, pris la première ligne pour Beyrouth. Une ruse à 500 dollars – cela fait cher le visa libanais - mais quand on aime...

    Hélas, la douane égypto-israélienne de Taba en a décidé autrement. Une heure, deux heures. Un tampon de sortie sur une “feuille volante”? Sorry, not possible. Trois, quatre heures, rien n'y fait. Ce tampon signifierait une chance sur deux de me voir refouler à la douane libanaise si celle-ci me demandait d'où j'avais embarqué pour atteindre Chypre et découvrait que j'étais sorti d'Égypte vers Israël.

    Et maintenant? Passer par la Jordanie et la Syrie, mais l'ambassade syrienne du Caire ne délivre de visas qu'aux étrangers résidant en Égypte. Demander un second passport, mais la procédure doit se faire en Suisse. Perdre mon passport à Chypre et m'en refaire un vierge...

    On ne peut pas tout se permettre sur cette planète. Est-ce convenable de “m'amuser” à trouver la faille administrative, alors qu'en ce moment, un vieux Palestinien qui a connu deux guerres et une dizaine d'insurrections pleure pour la première fois de sa vie devant le corps déchiqueté de son petit-fils mort sur le chemin de l'école sous l'explosion d'une bombe à fléchettes?

    Peut-on remplir une à une les pages de son passport rouge à croix blanche, “faire” l'Israël et se réjouir de visiter Gaza, alors que tout un peuple, humilié aux barrages routiers et prisonniers d’un “mur de sécurité”, rêve de se déplacer, non pas par curiosité, mais par nécessité?

    Les premiers ministres israéliens ont de très beaux mots pour cela. Le 27 novembre dernier, Ehud Olmert déclarait: “Nous ne pouvons plus, les uns comme les autres, nous accrocher à des rêves déconnectés des souffrances de nos peuples, des difficultés qu'ils éprouvent quotidiennement”. Un discours qui trouve son échos trente ans plus tôt, le 21 novembre 1977, dans la bouche de Golda Meir: “Nous, peuple d'Israël, sommes les derniers à être insensibles au désespoir des autres. Nous n'avons jamais dit que nous voulions que les Arabes palestiniens restent comme ils sont: dans des camps, dans la misère, dépendant de la charité”...

    Est-ce de la sagesse ou de la lâcheté? Le fait est que j'en ai ma claque des voyages que l'on dit “réussi” si l'on a obtenu une “cheap accomodation” et un visa pour le prochain pays, alors que c'est là que le voyage devrait commencer!

    Oui, c'est comme si grand-mère n'était pas autour de la table, alors que l’on célébrait son 60ème anniversaire. C’est ainsi. Israël n'aime pas les chiffres ronds. Ils réveillent ses échecs. J'irai lui rendre visite une autre fois... Fin du voyage “par voie de terre et de mer”. Direction l'aéroport. “Terre promise”, promesse non tenue. Routes... et Beyrouth!

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  • Révélation, Sinaï & business bédouin

    Cela s'écrit à 2'285 mètres d'altitude, aux environs de minuit, à la lueur fatiguée d'une lampe frontale, entre la chapelle et la mosquée qui se partagent le sommet du mont Sinaï (ou djebel Moussa). Dans l'ordre, déposer la plume, refermer le carnet, éteindre la lumière et redécouvrir ce que signifient les mots “air”, “solitude”, “silence” et “nuit blanche à la belle étoile”.

    1576899211.jpgÀ l'aube - puisque l'ascension s'est faite à la lampe frontale - tout est neuf. Un paysage lunaire alliant noir volcanique et rouge corail, des roches granitiques comme “sauvées des eaux”, l'oeuvre d'un sculpteur surréaliste soucieux du détail. Perte de vue. Pour peu, on verrait Jérusalem, cet autre rendez-vous des trois monothéismes. Pas vu l'Ange de l'Eternel, mais soudain sur l'horizon, l'Astre, ce petit rond rouge gravé “du doigt de Dieu”.

    1537396542.jpg Révélation.

    Ou pas loin.

    Car les versions divergent.

     

     

    1657494724.jpg(il est écrit quelque part que la tradition juive ne voulait pas connaître le lieu exacte de la Révélation de peur qu'il donne lieu à des actes idolâtres. C'est la personnalité seule de chacun qui donnerait, selon elle, son caractère à la place qu'il ocupe...)


    CAIRE - SINAI Ce matin, mon bus a quitté la capitale, la bruyante, l'ardente, a traversé le tunnel Ahmed Hamdi qui passe sous le canal de Suez, puis a filé plein sud, avant de remonter le Wadi Feiran et atteindre Al-Milga, un village où acheter deux litres d'eau, du pain et des dattes. La suite à pied, en direction du monastère Sainte-Catherine et de sa cour pleine de gens bien portant (les nuitées de sa guesthouse coûtent 180 dollars). Ensuite, des chameliers armés de téléphone portable insistent pour porter 1981179494.jpgassistance et un avatar du Christ me sourit en portant sa croix (photo). Enfin l'ascension - le coeur léger - la nuit qui tombe - au loin une chenille lumineuse – les torches électriques d'un groupe de collégiennes coptes - elles me souhaitent “good luck” - puis plus rien – l'air pur – la nuit – le bruit des pas - une lumière - quatre Bédouins qui, à la lueur d'une lampe à pétrole, ont des airs de vrais Bédouins...

    1808265901.jpgSlimane s'est marié il y a un mois. “Quand on se marie, on ne quitte pas sa chambre à coucher pendant un mois.” Il vient de rejoindre ses amis du djebel (aucune Bédouine ne passe la nuit sur le djebel). Slimane rêve de nouveau de touristes russes, “les plus chaudes” - Tu ne commettras pas l'adultère – et sort de nulle part une bière lorsqu'il voit que j'ai ramassé quelques ordures sur le chemin. Jami, lui, n'est pas marié. Et c'est pas demain la veille: “pour se marier, il faut compter 60'000 pounds (CHF 12'000.-) pour l'achat d'une maison, 20'000 pour le mobilier et encore 20'000 pour la fête”...

    Deux choses distinguent Slimane, Jami et leurs deux compères des autres Égyptiens. Ils parlent chacun quatre ou cinq langues (Slimane parle russe...) et se disent très contents de leur vie et très chanceux. Pourquoi ? Je ne vous ai pas tout dit...

    BUSINESS BEDOUIN 3h du mat', un couple biélorusse hurle sa joie d'être enfin parvenu au sommet - Tu ne tueras point.  4h, un Américain raconte longuement à sa femme l'histoire de Moïse - Tu n'invoqueras pas le nom de Dieu en vain. 5h, un groupe d'Espagnols chante à tue-tête des chansons espagnoles en frappant des mains. Puis le défilé. “Blanket, 5 dollars!” - Tu ne voleras point. Le groupe Ramsès (du nom de l'agence Ramsès) fait 449832132.jpgl'appel. Vente de pierres authentiques du Sinaï. L'un écrit sur la roche “Piotr”. Un petit Bédouin mendie en boucle: “food, mangare, essen” - Assurément l'une des plaies d'Égypte. 5h55, une bombe israélienne fait son apparition dans un short minimal. 5h56, apparition de l'Astre, ce petit rond rouge jadis gravé du doigt de Dieu...

    1656017670.jpgLe Sinaï est une denrée qui se consomme entre 6 et 7 heures du matin, car il faut être redescendu dans les temps pour l'ouverture du monastère Sainte-Catherine, à 9 heures. La redescente est le terrain de chasse des Bédouins du Sinaï (ancêtres d'esclaves importés au IXème siècle depuis Alexandrie pour s'occuper du monastère). Ils misent sur la fatigue de leurs proies. Seule quatre familles se partagent le parcours. Toutes quatre appartiennent à la tribu des “Gebeleen” (Montagnards). Ce sont des Musulmans (la 3ème sourate du Coran soutient que Moïse est un messager d'Allah) qui croient malgré tout en Saint Georges et en Sainte Catherine. Pour se distinguer des Égyptiens, ils portent le djellaba, voilent intégralement leurs femmes et aiment marcher dans la montagne.

    2144105807.jpgOn comprend alors pourquoi Slimane et Jami se disaient “chanceux”. Il faut imaginer en haute saison un millier de "pèlerins" qui louent chaque nuit des couvertures à 20 pounds (CHF 4.-), boivent des sodas à 15 pounds (les prix de Sharm-el Sheikh) et achètent des dromadaires taillés dans le quartz, des pyramides en toc (oui, au Sinaï) et un peu d'artianat bédouin... Échangeant les tables des prix contre les Tables de la loi, les Bédouins laissent “paître leur troupeau loin dans le désert”. ElhamdolelAh, ça rapporte bien plus que les dattes.

    164851310.jpgDe retour au monastère Sainte-Catherine, le groupe Ramsès reçoit le cartons des petits déjeunés. Les autres dissimulent leurs jambes et leurs épaules nues dans des tissus distribués à l'entrée du lieu saint. L'un des 22 moines orthodoxes tient la caisse du musée et contrôle les cartes d'étudiants. Il m'interdit de faire des photos. On discute. On parle de son emploi du temps. Mais le groupe Ramsès veut un ticket... Après un temps, le moine me saute littéralement dessus, s'empare de mon appareil et mitraille les icones qu'il préfère. “Il faut que ce patrimoine soit partagé!” (vraisemblablement l'interdiction venait “d'en haut”). Ses photos sont toutes ratées, mais ce moine m'a réconcilié avec le lieu. Merci.

    Le Sinaï, ce restera une chapelle et une mosquée qui se donnent la main au sommet sous un épais tapis d'étoiles. Et puis ce vieux moine barbu jusqu'au nombril qui retrouvait soudain son innocence à deux pas d'un buisson ardent et poussiéreux.

    PS : "Selon la pensée hassidique, on ne peut pas s'approcher de Dieu, car Dieu est un gand feu. Mais on peut aller jusqu'au coeur de l'être humain qui est une partie de Dieu", Aharon Appelfeld.

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  • Qursaya ou la bienheureuse définition de l'anachronisme

    Pure ségrégation anti-mâle. Au Caire, le métro laisse aux femmes le choix entre des wagons exclusivement féminins et des wagons dits “mixtes”, alors que les hommes sont forcés de s'ennuyer entre eux...

    1875214106.jpgPure provocation, vous l'avez compris. Ou simple esquive, car aucun mot ne peut décrire ce métro-là. On peut risquer de s'en prendre une en osant une photo, bras levé au-dessus des têtes, puis promettre en toute mauvaise foi de l'effacer aussitôt. Incorrigible, je contourne l'obstacle et vous renvoie à la fresque du peintre Bahgory accrochée dans la station Sakiet Mekky: un sublime Guernica souterrain à l'image de ce métro protéiforme.

    868372498.jpgLE CAIRE Depuis la station Sakiet Mekky, on peut relever les devantures (“Enter Net, Pay Station & Natwork”) ou emprunter la rue du 6 Octobre. Une grande date (en 1973, en plein Yom Kippour, l'Égypte se ruait sur Israël) pour une toute petite rue luttant contre le soleil avec les moyens du bord: feuillus aux bras longs, aspersion à grands jets, cruches en terre cuite remplie d'eau aussi fraîche que douteuse, montagnes de pastèques, de prunes et de pêches disposées sur de l'herbe humide. Explosion juteuse. Première pêche de l'année. Faire un voeu. J'aimerais. J'aimerais m'extraire de la tourmente...

    2016772798.jpgSur les quais où conduit la rue du 6 Octobre, près d'une nasse pleine de carpes hyperactives (pas meilleure démonstration de fraîcheur), on regarde s'approcher une barque pleine d'hommes, de femmes, de brebis et d'enfants. À l'accostage, un homme attrape la corne d'un bouc et l'emmène sur la terre ferme. Le troupeau suit. Les êtres humains ausssi. La barque se vide. Pour vingt-cinq piastres (il n'est pas de plus petite monnaie), on embarque. Un teenager tire sur une chaîne qui grince autour d'une poulie, une chaîne reliée aux deux rives. En face, l'île de Qursaya.

    959073615.jpgCultures de trèfles - vert nourrissant - aigrettes - blanc aveuglant – accacias – rouge inouï - et fillettes frottant des assiettes dans le Nil. Jouissant de la sérénité de cette île peuplée de paysans et de pêcheurs, on peine à imaginer ce que ces derniers ont subi en septembre dernier. Une escouade de militaires débarquaient alors, fusil au poing, les priant de bien vouloir quitter les lieux pour faire de Qursaya une base militaire. Armés de cailloux et de bâtons, ils avaient résisté...

    Une trop longue histoire pour être contée ici. Disons simplement qu'au moment où ces lignes s'écrivent, la partie est gagnée contre le gouvernement. Même si la menace persiste. Alors que l'armée a établi son campement au nord de l'île, des promoteurs inspirés rêvent de transformer l’île en réserve naturelle ou en complexe hôtelier.

    Au milieu de la tourmente, au milieu du Nil, au milieu du vert, du blanc et du rouge, des hommes sages ont disposé un banc de bois sous une treille de vigne et de canisse. L'endroit rêvé pour savourer la leçon de vie d'un insulaire, surpris seul, immobile, sans Coran, sans fatigue et sans tristesse. Noblesse de l'inaction et définition bienheureuse de l'anachronisme.

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  • Sur le canal de Suez, Goliath abat les BAMBOUTIS

    1073374243.jpgAmateurs d'absurde, vous apprécierez. Sur une route qui file au nord vers Port-Saïd, le canal de Suez se fait parfois oublier. Il disparaît, prépare son effet et vlan! Comme un mirage, un vaisseau colossal navigue soudain au milieu de terres sablonneuses...

    Amateurs d'absurde, à Port-Saïd, vous embarquerez à coup sûr à bord des ferrys gratuits qui mènent sur l'autre rive du canal, à Port-Fouad... en Asie!!! La tentation est forte. Trop forte. Retour en Afrique...

    PORT-SAÏD Ni hiéroglyphes, ni traces de civilisations antiques. Port-Saïd n'avait pas dix ans en 1869 lorque l'on inaugurait le canal de Suez. Elle exporte aujourd'hui du coton, du riz, ravitaille les navires (c'est une zone franche depuis 1976), vit de pêche, un peu, et d'industries chimico-tabatières, beaucoup. C'est aussi un plaisant lieu de villégiature.

    Les jours fériés, sous les balcons boisés des maisons coloniales qui bordent la mer, des familles plantent leurs parasols. Papa feuillette l'Al-Gumhûriyya. Maman tranche tomates et oignons. Les fistons taquinent le ballon. Et leurs soeurs aînées se baignent, en manches longues. En sortant de l'eau, leur habit clair et imbibé dévoile l'entier de leurs charmes ô combien plus affriolants qu'un bikini de Saint-Trop'. Papa ferait mieux de relever les yeux de son journal...

    Au loin, en équilibre sur l'horizon, les cargos patientent en file indienne avant d'entrer dans le canal et la ronde des bateaux-pilotes, des remorqueurs et des barques de bamboutis.

    Les bamboutis - mot dérivé de “boatman” (homme de bateau) - sont au canal de Suez ce que sont les vendeurs à la sauvette dans les embouteillages du Caire. Ils accostent les navires pour échanger des tee-shirts “Hard Rock Café Cairo”, de faux papyrus en feuilles de banane et des pyramides en toc contre quelques devises étrangères. Tout se marchande et il n'est pas rare de les voir regagner leur barque avec des cordages ou des pièces détachées qu’ils sauront revendre aux commerçants du port.

    Peuple de l'ombre, les bamboutis viennent pourtant de faire les grands titres. Affrété par la marine américaine pour acheminer on-ne-sait-où des équipements militaires, le cargo Global Patriot a ouvert le feu sur une barque qui s'en approchait. Un bambouti est mort. Mohamad Afifi, 30 ans, père de deux enfants. L’ambassade américaine du Caire a longtemps nié cette “bavure”, mais a fini par regretter le sort de “victimes éventuelles”. L’état égyptien, l'un des principaux bénéficiaires de l’aide américaine au Proche-Orient, a aussitôt accepté les excuses de Monsieur l'Ambassadeur.

    L'incident a fait parler de lui, mais pour les bamboutis, le problème est plus global. Depuis les événements du 11 septembre (et peut-être davantage depuis le 12 octobre 2000, lorsque le destroyer USS Cole, amarré à Aden, au Yémen, fut frappé par une embarcation piégée qui tua 17 marins), les autorités du canal ne délivrent plus de licences de bamboutis et un décret international leur interdit désormais d'accoster une embarcation sans autorisation préalable du capitaine...

    Amateurs de vie bien réelle, grouillez-vous, comme l'antilope du désert addax nasomaculatus, les bamboutis s'éteindront bientôt.

     

    PS : Port-Saïd est un lieu d'une importance stratégique majeure. Les appareils photos ne sont pas les bienvenus. Du reste, j'ai oublié le mien au Caire. Les images du langage sauront-elles remplacer le langage des images?

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  • De la Grande Bibliothèque au dernier village de pêcheurs

    1895033407.jpgConstruite sur l'emplacement de sa grande soeur antique, la Bibliotheca Alexandrina est un colossal disque de béton se pavanant au milieu d'immeubles néo-gothiques qui vieillissent mal. Le prospectus parle d'Autel du savoir universel, mais la moitié des rayonnages sont encore vides et les étudiants venus consulter leur messagerie sont dérangés par un défilé incessant de visiteurs.

    ALEXANDRIE De quoi réfléchir et gamberger à bord d'un tramway sans fenêtre, dans lequel il est impossible de régler les 25 piastres de la course : des Égyptiens au grand coeur se disputent pour me l'offrir avant d'entamer la discussion. Ils ne sont jamais allés à l'intérieur de ladite bibliothèque. On parle d'autres choses. Le tramway s'immobilise derrière trois fourgons policiers qui débarquent, deux par deux, des jeunes menottés. Un flot intarrissable et personne pour m'expliquer le pourquoi du comment. On parle d'autres choses...

    Mes amis de circonstance descendent à la prochaine, le terminus. Il faut ensuite marcher une bonne heure pour atteindre le dernier village de pêcheurs d'Alexandrie, El-Max, un quartier entouré d'un campus militaire, d'une industrie pétrolière et de plages polluées. Les maisons sont de charmantes petites boîtes anarchiques qui  jouent des coudes pour avoir accès au canal reliant le lac Mariout à la mer.

    2081906211.JPGMais surprenant. La plupart des bâtisses sont ornées de dessins d'enfants, de fresques d'artistes confirmés ou de phrases révélatrices : ehna zay el samak nemoot law talaana men el bahr. “Nous sommes comme des poissons et ne pouvons vivre loin de la mer.”

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    Pour élucider ce mystère, je commande un shisha dans l'un des deux cafés d'El-Max, rencontre l'unique anglophone de la terrasse, un avocat, fils de pêcheurs, et prends les coordonnées de celle qui est à l'origine de cela.

    Les yeux, cela ne trompe pas. Aliaa el-Geredy est du genre volontaire. Il y a dix ans, elle eut le coup de foudre pour El-Max. “J'en avais marre d'exposer dans des lieux clos et m'interrogeais sur la responsabilité sociale de l'artiste.” Elle est venue boire des thés avec les pêcheurs, puis a envisagé d’y installer un local. Débutait alors le projet El Boustashy, du nom d'un vent qui ramène les poissons vers la côte.

    Depuis, des artistes d'Europe, d’Asie et d’Afrique sont venus vivre et créer quelques semaines à El-Max. Sceptiques, les pêcheurs auraient préféré réccupérer cet argent pour vivre moins mal, mais le fait est que depuis trois ans, les enfants ne jettent plus des pierres sur les étrangers. Au contraire, ils se pressent dans les ateliers de peinture organisés par l'association d'Aliaa et sont fiers comme des coqs quand leurs oeuvres sont exposées en plein centre ville. L'occasion pour l'association de rencontrer les mères, leur proposer des ateliers de broderie pour confectionner des vêtements qu'elles vendent ensuite sur les marchés. Puis finir de convaincre les hommes en leur proposant des cours de mécanique sur barque...

    Loin de la Grande Bibliothèque, l'espace d'un instant, deux cultures se sont rencontrées.

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  • Quand Nicolas Bouvier vous fait prendre l'avion

                                     “On n'écrit pas sans l'autre.”

                                                     Ingrid Thobois,

                                                     Le roi d'Afghanistan ne nous a pas mariés.

    983384473.JPGJeudi huit mai, sur le coup des dix heures, traînant la semelle dans la Cité des Ordures, un quartier copte qui réccupère les détritus du Caire pour en faire quelque chose. Quelques sous. Ma poche vibre. Un indicatif français. C'est Pierre Starobinski à l'appareil. Oui, bonjour. Il était l'un des jurys du Prix Nicolas Bouvier 2008 au Festival des Étonnants Voyageurs de Saint-Malo. Oui. Votre livre Estive a remporté le Prix.    

    647741660.JPG1803402443.2.JPGEntre deux immeubles en brique aux toits remplis d'ordures, des petits gavroches découpent des boîtes en aluminium avec des ciseaux trop grands pour eux. Un peu plus loin, un homme m'invite à m'asseoir sur son bidon.

    M'aidera-t-il à  voir un peu plus clair ? Le Festival des Etonnants Voyageurs de Saint-Malo est le rendez-vous des écrivains voyageurs depuis dix-neuf ans. Estive est un anti-récit de voyage. La vallée de l'Hongrin dans laquelle l'histoire se déroule est à une heure de route de "chez moi", d'un théâtre contemporain ou d'un bon pote...

    Ma poche vibre à nouveau. C'est la logistique du festival. On vous a réservé un billet d'avion pour Paris demain à 7h40.

    Le comble. Nicolas Bouvier, celui qui m'a appris à voyager à vitesse humaine, celui qui a su raconter avec sincérité la nécessité de l'amaigrissement et de la disparition progressive... Partir sans avoir le temps de ne rien préparer, faire du stop en Espagne, contourner la frontière algérienne par la mer, traverser les routes désolées de la Libye, perdre toutes mes illusions au Caire... et me retrouver vendredi midi dans la ligne B du RER, une larme à l'oeil en écoutant trois gitans faire de la musique.

    L'escale parisienne durera une heure. Direction l'île Saint-Louis, pour rejoindre la Librairie Ulysse, le royaume de Catherine Domain, la témoin de mariage de Nicolas et d'Eliane Bouvier. Il y a quatre ans, je lui avais envoyé un exemplaire de mon premier bouquin, Billet aller simple, tout frais publié, à compte d'auteur. Elle en avait parlé à son ancien compagnon, Roland Tolmatchoff, le plus attendrissant de tous les bourrus ukrainiens, l'autre témoin de mariage de Nicolas, le patron de la Librairie des Auteurs Suisses à Genève... mais personne dans la Librairie Ulysse.

    Sur le quai 8 de la Gare Montparnasse patiente un train spécial réservé pour les invités du Festival de Saint-Malo. Des voyageurs et des journalistes. Je ne reconnais aucune tête. Le train est comble, mais un homme m'indique de la tête que la place à côté de lui est libre. Merci. Je vais fumer une Cleopatra sur les quais, histoire de garder un contact avec le pays, avec le voyage.

    L'homme est réalisateur. Ismaël Ferroukhi est le premier à avoir pu filmer à la Mecque. Son Grand Voyage a remporté le Prix du meilleur premier film à la Mostra de Venise en 2004. Des mots, des anecdotes, des éclats de rire et déjà de l'amitié. Pas une seconde pour voir ce qui se trame derrière la vitre du train.

    En gare de Saint-Malo, je surprends Eliane Bouvier, rayonnante. Et puis Gaël Métroz, ce bon pote valaisan invité pour la projection de son film Nomad's Land, un sacré truc. Eliane en a sa claque des salons littéraires qui se braquent sur son ancien amour. Gaël revient d'Helsinki où il était invité pour parler... de Nicolas Bouvier. On se donne rendez-vous le soir même pour la soirée cocktail.

    La mer, le sable et la sieste ont eu raison de moi. Je manque les festivités, sans trop le regretter. Aux alentours de vingt-trois heures, je ne trouve sur les marches du Palais du Grand Large qu'Eliane, Gaël et les deux grands yeux clairs d'Ingrid Thobois. Du rhum, des anecdotes de voyages et d'écriture, du rhum, une belle nuit que je termine dans la cuisine de mon hôtel pour quémander à manger à un réceptionniste amoureux du Caire qui en parle avec des yeux lumineux. Et longuement.

    Samedi, réveil difficile. Au petit-déjeuner de l'hôtel, chaque auteur mange à sa table. Il y a l'algérien Sansal Boualem, mais pas bien sûr de le reconnaître. A la table voisine, Tahar Ben Jelloun. Son livre Partir m'avait accompagné sur le ferry qui traversait le détroit de Gibraltar. Trop dans le cirage pour le déranger. Plus loin, Gilles Lapouge, éternel flâneur, bien que le visage un peu fatigué. Enfin, Alain Mabanckou, chef de file de la jeune génération des auteurs africains. Mais pas un mot.

    Puis je rejoins Ismaël, le réalisateur rencontré la veille dans le train, pour la projection de son film, une merveille, à pleurer. L'histoire d'un lycéen qui accompagne son père en Peugeot pour un pélerinage à la Mecque. Je l'attrape à la sortie du film pour qu'il me raconte les anecdotes du tournage. On s'enfile dans un PMU, longuement, puis autour d'un filet de Turbot, dans un restaurant classieux, car on ne vit qu'une fois, car le courant passe et car une belle rencontre se fête.

    C'est donc tout ennivré de la beauté du monde que je rejoins le salon. Un gros gros bec à Marlyse Pietri, depuis trente ans à la tête et au coeur des éditions Zoé. MERCI MARLYSE. Au final, je ne resterai pas longtemps derrière le stand. Je n'ai signé qu'un seul exemplaire d'Estive et à quelqu'un avec qui j'avais davantages envie de profiter des terrasses de Saint-Malo. L'auteur suisse Eugène. Que je rencontre pour la première fois. Un faux sérieux bourré de simplicité, d'érudition, d'humour et de dérision.

    Dimanche, c'est le grand jour – blablabla - le prix est annoncé et Estive s'habille d'un bandeau rouge “Prix Bouvier 2008”. Comme une brebis malade que l'on marque avant de l'emmener chez le boucher... Moi qui pensait avoir échangé l'étiquette “voyageur” contre celle de “berger”... Félicitations d'un jury composé de toute la bande à Michel Le Bris, toute la bande à Bouvier. Un verre de champagne pour faire descendre avant la cérémonie.

    J'aurais voulu que Robert (Claude, dans la vraie vie), celui qui m'a prêté ses bêtes et son alpage, soit là à Saint-Malo pour voir ça. On aurait peut-être reconduit nos exploits de la Fête de la Désalpe de l'Etivaz. Peut-être pas.

    Lundi, comme par miracle, des dédicaces non-stop, du matin au soir, et de belles rencontres à la chaîne.

    Au moment de rentrer "chez moi", devant l'enregistrement du vol AF 507 pour le Caire, j'ai une pensée soudaine pour Manon, cette jeune femme allemande que Nicolas Bouvier quittait en 1953 pour “user” le monde. Puis me revient à l'esprit l'image d'Eliane, cette dame à la vie pleine, aux rides bien placées, à l'humour ravageur et aux oeillades généreuses. Eliane à qui je n'ai pu offrir qu'un paquet de cigarettes Cleopatra.

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  • NUIT INITIATIQUE CHEZ LES SOUFIS

    1898529673.jpgC'est jour de mouled. Un quartier en retrait du Caire islamique célèbre ainsi l'anniversaire d'un saint. Au premier abord, l'événement ressemble davantage à une fête foraine bas de gamme, avec des roulettes hasardeuses pour quadrupler sa mise, de solides balançoires d'adultes pour épater les filles et des carabines pour dégommer des poupées truffées de pétards...

    2123129702.JpgPuis le vent frais du nord se lève. Comme une bénédiction. On perçoit le Souffle. Des villageois de Haute-Égypte (photo) ont aménagé leur campement dans les ruelles transversales. On salue le chef du village, on accepte le thé, on ronge un morceau de mouton et on accompagne de la tête les récitations coraniques.

    1474977912.jpgPlus loin, un soufi extirpe un serpent d'une petite poche de tissu dissimulée sous les trois épaisseurs de ses robes cradingues. Les gosses prennent peur. Ensuite un fou, mais un fou heureux comme vous ne pouvez pas l'imaginer, un fou qui danse en faisant de larges cercles avec les bras, un fou qui vole les cannes des vieux et boit dans les verres des passants. Carnaval. Des ampoules multicolores clignotent devant des tentures criardes. Hypnose. Un vieux décharné danse en équilibre sur une haute barrière métallique. Puis s'électrisent les hauts-parleurs. À s'en déchirer les membranes. Maintenant coude à coude. Le mètre carré optimisé. Une femme opulente se trémousse, s´égosille dans un micro et éponge la sueur de son front avec un autre serpent. A ses côtés, deux soufis se percent les joues avec du métal.

    162978688.jpgVient l'heure d'Ahmed Bayoumy, un homme dangereux, un enchanteur, un sorcier. L'entendre chanter, c'est ne  jamais l'oublier. Le nay, la derbouka et la sono grésillante ne sont que des instruments. Sa voix, c'est de l'art pur. Ensorcelé, je rejoins les fidèles, les condamnés, contraints d'obéir aux mouvements de bassin répétitifs, à gauche, à droite, va-et-viens de la tête, à gauche, à droite. Hommes et femmes réunis, gueux et nantis dans le même esprit. Comme la preuve que le Livre ne doit pas qu'être lu, mais enduré et partagé. Gauche, droite. Le temps n'a plus de portance, mais j'ai soif à m'en avaler la langue. La course constante du regard, gauche, droite, absorbe quelques visages hillares, un danseur introspectif et plusieurs hystériques. Chacun laisse parler le soufi qui est en lui. Gauche, droite. Inspirer, expirer. Chaque souffle est une fête. L'un décompense, pleure et se lacère le visage. L'autre hurle de joie. Gauche, droite. La soif n'existe plus. Les muscles sont une écorce trop lourde qu'il convient de laisser de côté, tout comme l'intellect, et poursuivre la cadence en fermant les yeux.

    Puis la transe.

    Parler d'ivresse ou d'extase serait mentir. "Extinction" est un mot plus adéquat. Ce vaste amour qui n'exclut personne, l'instant.

    Quand la voix s'éteint, après des heures de transe, on est orphelin. Il faut du temps pour retrouver l'usage de la parole. Et peut-être toute une vie pour comprendre ce qu'il s'est passé...

    Il est cinq heures du matin, les derniers allumés se sont réunis sous une arche de la mosquée Altinbougha al-Maridani, rue Tabbana, au sud-est de bab al-Zouwaïla. Eux iront jusqu'au bout. 

     *

    PS 1: Un soufi a dit : “efface les pages des livres, si tu viens à la même école que nous, car la connaissance de l'amour ne se trouve pas dans les livres..."

    1450114423.jpgPS 2: les photos de cet article ont été prise par Daniel Rari (photo), un cycliste madrilène rencontré à Marsa Matrouh qui m'a cédé sont ordinateur portable (un cadeau du ciel avant une résidence d'écriture...), puis a partagé mon appartement du Caire. En ce moment, il pédale en direction du Soudan, en rêvant de Japon. Oui, il tient un blog : ahoka.blogspot.com.

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  • Ecrivains égyptiens cherchent lecteurs égyptiens

    La bonne nouvelle, c'est que grâce à Baha Taher et Alaa El Aswany, entre autres, les Cairotes sont devenus des personnages de romans (le café où aimait écrire Naguib Mahfouz est pris d'assaut par les touristes). La mauvaise nouvelle, c'est que les Egyptiens ne sont pas devenus des lecteurs de romans. Le marché du livre égyptien est en effet bien timide pour un pays de 80 millions d'habitants. C'est qu'en Egypte, il y a d'autres pages à tourner - plus urgentes – lorsqu'on fait la file des heures pour acheter du pain subventionné, qu'on travaille le jour comme comptable et le soir comme taxidriver, qu'on prévoit pour aujourd'hui dimanche, anniversaire du président, un remake du 6 avril dernier, avec son lot de grèves, de manifestations, d'arrestations et de bastonnades...

    *

    ...au Caire, la Fondation Pro Helvetia m'a mis à disposition le plus confortable des caravansérails, une résidence d'écriture pour achever mon prochain bouquin. Sur le toit de mon immeuble, au 30 de la rue du 26 Juillet, s'entassent sous des barraques de fortune une dizaine de familles sans le sou. Mais me remettre à écrire. Sans me demander si l'écriture est vraiment un acte de résistance.

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