“Le jour de beau”, comme on dit chez nous. Jour de Beau. Rarement vu spectacle aussi...
VILLAGE DE GIBRANE L'aube n'est encore qu'une promesse. Elle laisse dormir Bécharré (photo ci-dessus), le village natal de Khalil Gibrane. On peut imaginer que la nostalgie d'un tel lieu ait su inspirer un expatrié, un exilé, un Prophète. Les cloches des églises maronites
patientent. Ne résonnent pour l'instant que les séquelles d'une veille arrosée au gros rouge du petit-cousin d'Antoine, dit “Tony”, un type qui portait sur son T-shirt une phrase souhaitant la mort des gars du Hezbollah (preuve qu'il ne suffit d'être chrétien - même maronite – pour faire du bon pinard, preuve aussi que le Liban a encore deux-trois mea culpa de retard). Ai pris le mauvais raccourci. Celui qui mène directement à la ferme isolée d'un petit vieux enturbanné qui tient absolument à partager son café avant de m'indiquer la bonne direction. Son café aurait réveillé un mort. Merci à eux deux. Ai passé devant la très fameuse et vraiment minuscule réserve de cèdres du Liban. Ai entrevu les pancartes des restaurants, des boutiques à souvenirs et des nightclubs de la station des Cèdres (à vrai dire, pas très envie de glisser ici une description cynique de ce à quoi peut ressembler une station de ski libanaise de l'après-guerre à l'entre-saison). Ai demandé la direction du Qornet as-Sawda, le plus haut sommet du Liban (3090 m), au dernier être humain rencontré, un militaire. Ai quitté le monde des hommes.
QORNET AS-SAWDA Dernière verdure, en tenue de survie et dernière douille de cartouche. Le règne minéral, une crotte de chèvre et le traffic insensé des insectes. Puis le silence total. Les première neige qui sont les dernières. Le soleil des grands jours et pas un pet de vent. Au bout de l'arrête, le sommet (photo ci-dessus), un modeste manteau de pierres...
... avec vue sur la mer ! Il paraît que l'on distingue l'île de Chypre par temps dégagé. Au menu du jour, la jetée du port de Tripoli, les plages de Syrie et celles de Beyrouth. Si la paix subsiste quelque part, c'est ici. Du grand, du tout grand, des heures durant. Se pincer l'avant-bras ne change rien. Chanter. Le Jour de Beau. C'est en partie cette beauté qui est la cause de l'insolation. En partie seulement. Car quand est venu le temps de redescendre, une surprise m'attendait, de celles qu'un tour opérateur ne peut prétendre offrir, de celles qu'un vieil appareil numérique chercherait en vain à capturer...
Un troupeau de chèvres assoiffées fonce dans ma direction, celle d'un épais névé de neige. En queue de peloton, un petit gars d'une quinzaine d'années. Il s'appelle Dib. Cela veut dire “loup” en arabe. Il parle français. Montagne miraculeuse. Accompagné d'un chien parfaitement inutile, une fois par semaine - son jour de congé - Dib emmène ses 345 chèvres (dont 105 à traire) faire le tour du Qornet. Il a perdu la montre Casio de son père dans le coin la semaine dernière. Elle vaut 100 dollars et son père peut “avoir des crises”. Alors on cherche la Casio de Dib, en vain. Pause neige pour le troupeau, puis pause casse-croûte pour nous. Dib défait le tissu noué autour de sa taille. Du pain libanais, une boîte de thon, une tomate, un oignon et une poignée de cerises. Les meilleures que j'aie goûtées de ma vie. La bouche pleine, les derniers mouvements d'un troupeau qui chaume, la montagne, la vue sur la mer, le Voyage, encore et malgré tout.
Redescente à l'allure du troupeau, la vitesse idéale. Pause multiple sur un caillou. Dib devant, moi derrière, en compagnie d'un vieux bouc boiteux et d'une jeune chevrette caractérielle. C'est peut-être ainsi que l'on devrait voyager. Entre un vieillard plein de sagesse et une petite dame subversive.




Lors des affrontements de 2006, Hassan avait envoyé sa fille en Syrie. Lui était resté, “en résistant”. Il y avait alors 115 journalistes dans son petit hôtel. Il avait fallu aligner des matelas sur la terrasse. Comme à l'abri d'un moucharabieh, rivées sur ce même balcon où nous refaisons le monde, les caméras pouvaient distinctement voir pleuvoir les bombes sur les villages du nord de la ville, foyers du Hezbollah. Et constater la riposte. Hassan avait emmené deux journalistes près de Blint Jbayl, tout au sud du pays. Ces derniers auraient été surpris de voir des 







Soit deux territoires carrés de cinq mètres sur cinq. Un homme seul se présente sur le territoire des autres joueurs (de 2 à 5). Son but est de toucher de la main l'un d'eux, puis revenir sur son territoire. L'adversaire touché sera ainsi éliminé. Mais si l'homme seul est plaqué au sol 




La discussion aurait pu durer des heures, mais un membre de la "sécurité" était chargé de me racompagner à la sortie...

La visite se poursuit. Saïd me présente son meilleur ami. À 33 ans, Abou Saleh tient un petit salon de coiffure (photo prise depuis l'intérieur). Son frère a été assassiné en 2005, à l'âge de 25 ans, pour des raisons restées inconnues. Sa mère est décédée l'an dernier des suites d'une erreur médicale dans un hôpital de Beyrouth. Il n'a aucune foi en la politique: “Arafat n'était pas meilleur que les Américains”. Pour lui, seul le Hezbollah fait quelque chose pour la Palestine. Il les soutient, même s'il est sunnite et eux chiites, même s'ils voudront à terme faire de Jérusalem une ville chiite et que tout sera à recommencer... Abou Saleh se lâche. Il n'en peut plus de ne pas savoir que choisir: marier la femme palestinienne qu'il a fiancée ou s'enfuir en Belgique rejoindre son frère, même si ce dernier dit détester sa vie bruxelloise. Ce qu'il veut à tout prix, c'est obtenir une nationalité étrangère, le seul moyen de pouvoir un jour visiter la Palestine. "En menant une vie de réfugié, on ne fait rien pour la cause palestinienne”.


LIBAN 2008 La photo est prise du onzième étage de l'Intercontinental Phoenicia (l'hôtel tire-t-il son nom des origines phéniciennes de la ville ou du fait que cette dernière renaît sans cesse de ses cendres tel un Phoenix?). La banque HSBC (à gauche sur la photo) affiche le slogan “Get a free solar power water heather with every home loan”. À ses côtés, trois bâtiments délabrés se souviennent de l'attentat. Puis, sans transition, le Yacht Club Saint Georges, avec dans sa baie le “Samar”, un yacht muni d'un hélicoptère qui appartiendrait à un Koweitien. Sur le trottoir, de jeunes Libanais et Libanaises (!) font leur jogging en tenue peu coranique, ipod dans les oreilles. Les moins jeunes marchent à un bon rythme, parfois un chapelet dans la main. Sur la route défilent les décapotables et 











Sur les quais où conduit la rue du 6 Octobre, près d'une nasse pleine de carpes hyperactives (pas meilleure démonstration de fraîcheur), on regarde s'approcher une barque pleine d'hommes, de femmes, de brebis et d'enfants. À l'accostage, un homme attrape la corne d'un bouc et l'emmène sur la terre ferme. Le troupeau suit. Les êtres humains ausssi. La barque se vide. Pour vingt-cinq piastres (il n'est pas de plus petite monnaie), on embarque. Un teenager tire sur une chaîne qui grince autour d'une poulie, une chaîne reliée aux deux rives. En face, l'île de Qursaya.

