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Textes chroniques - Page 16

  • Fathy Embaby, le choix gouvernemental (5/5)

    Sonneries de portables pour tous les goûts et distribution non-stop de sodas. A la séance-dédicace du Drapeau, 1958548555.jpgdernier roman de Fathy Embaby, l'assistance ne semble guère se préoccuper de ce que  peuvent raconter l'auteur et son éditeur.

    On me chuchote que le chef éditorial du magazine de l'édition Al-Hilal, Magdy El Dakak (à droite), est aussi un membre influent du Parti National Démocratique (PND), le parti au pouvoir, le parti unique, celui de Moubarak. On me dit aussi que c'est la première fois qu'Al-Hilal organise un tel évenement, une présentation en grande pompe, avec la couverture du livre imprimée en format géant et un caméraman de la deuxième chaîne nationale venu pour l'émission “Cette Maison est la vôtre”, une plateforme dévouée... au PND. Créée en 1892, l'édition Al-Hilal, la plus ancienne d'Égypte pour les livres culturels et les romans, s'essaie au marketing.

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    Rendez-vous donné à l'auteur le lendemain, hors cohue, pour vérifier les sources et surtout faire connaissance. Une double fracture de l'humérus le fait boiter, mais une fois assis, Fathy se dit très satisfait. Lui qui avait déjà publié cinq romans connaît ces jours une belle réussite : en deux semaines,  il a écoulé 2'000 exemplaires de  son dernier roman.

    LIVRES SUBVENTIONNÉS La raison  du succès ? La qualité d'écriture évidemment. Mais il y a peut-être autre chose. Puisque l'édition Al-Hilal est une maison d'état, les livres bénéficient de subventions et se vendent 7 pounds lors de la séance-dédicace et 9 pounds en librairie (moins de deux francs suisses), contre 20 ou 30 pounds pour un livre publié par une maison indépendante. A cela s'ajoute le suivi médiatique assuré des oeuvres "gouvernementales"...

    1218988840.jpgNé en 1949, Fathy Embaby n'a pourtant rien d'un scribe soumis. Il a connu l'euphorie des années 60 - “on croyait tous qu'on allait rejoindre le paradis” - mais lors des protestations estudiantines de 1969-72, c'est la prison qu'il a rejoint, pour 9 mois. Il décide ensuite de quitter le pays. A son retour, après cinq ans d'exil, il rejoint Al-Tagamo'a, un parti de gauche fondé en 1977. Sans trop d'illusions : “je ne pense pas que ce parti puisse mener à un changement. Le régime a une trop grande expérience de la répression”.

    Ingénieur de profession, Fathy Embaby fut pendant cinq ans directeur d'une agence nationale chargée de la construction du métro au Caire. En 2003, il adressa une lettre d'une quarantaine de pages au Ministre des Transports pour lui révéler de nombreux cas de corruption. Résultat, il est muté. Depuis, pour le même salaire, il ne travaille plus que deux jours par semaine. “Ils ne veulent plus de moi”. Il ne s'en plaint pas. Il a du temps pour écrire...

    Dans les années 70, le président Sadate a tué la culture, l'éducation et le marché du livre. Devenue le dada d'une élite, la littérature s'est coupée du peuple...” Mais selon Fathy Embaby, le gouvernement essayerait depuis cinq ans de renverser la tendance et d'élargir le lectorat. Juste le bon moment pour prendre le bon wagon: l'édition gouvernementale.

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  • Soha Zaki, des mots pour ressusciter un mort (4/5)

    1956349690.jpgRésolument attachée au restaurant Estoril. Moins pour ses serveurs en galabiya et turban que pour ses épais vitraux qui l'autorisent à siroter une bonne Stella à l'abri des regards. La jeune nouvelliste Soha Zaki (à droite) m'a rejoint avec son amie Salwa Azeb (à gauche), journaliste pour le quotidien Al-Gomhuria. Elle nous raconte son dernier reportage en Syrie, à l'occasion du Sommet arabe de Damas : "je ne devais que relever les citations, sans y poser de regard critique..."

    SEXE, RELIGION ET POLITIQUE Soha Zaki a publié son premier recueil de nouvelles grâce à deux amis qui se sont cotisés pour lui offrir les 400 livres égyptiennes (80 francs suisses) nécessaires au tirage de 200 exemplaires. Le recueil ayant reçu un bon accueil, un éditeur lui a ensuite directement proposé de publier le second. "Mais à trois conditions : pas de sexe, pas de religion, pas de politique. La trinité du bien-penser." Son deuxième recueil intitulé Si j'avais été un oiseau évoque pourtant bien les trois thèmes interdits. "L'éditeur ne l'a manifestement pas lu."

    Soha trouve la littérature égyptienne actuelle trop moralisatrice. "Même l'Immeuble Yacoubian de Alaa al-Aswani se termine en brossant le gouvernement dans le sens du poil." Il n'existe pourtant pas, contrairement à la télévision et au cinéma, de censure officielle dans l'édition. "En réalité, les auteurs s'autocensurent eux-mêmes. En interview, ils tiennent des propos libertaires, mais ne croient pas en ce qu'ils disent. La fadeur de la littérature égyptienne n'est pas la faute du gouvernement, mais celle de la frilosité des écrivains et des éditeurs.” De son côté, Soha s'est bâti un petit îlot de liberté sur la toile. Depuis un an, elle tient un blog littéraire qui connaît une belle fréquentation.

    1726473157.jpgSon troisième livre, Longs doigts mutilés, évoquera le souvenir de son mari, Muhammed Hussein Bikr, décédé à l'âge de 32 ans en 2006 et avec qui elle a eu une fille, Noha (photo). Muhammed avait lui aussi publié trois livres. Il les imprimait lui-même de manière artisanale et les vendait dans la rue, en ne disant pas être l'auteur.

    Soha Zaki appartient à la génération des jeunes auteures prometteuses, avec Sahar El-Mogi, Amina Zidan, Mansoura Izzeldin, Nagwa Shaban, Miral El-Tahawi. On pourrait imaginer qu'en Égypte, toutes les auteures côtoient une certaine idée du féminisme, sur les pas de la plus célèbre militante égyptienne, Nawal Saadawi (photo). 1164370101.jpgPour Soha, la démarche artistique passe avant la lutte pour ses droits. Si elle avoue avoir porté le voile pendant six mois, alors qu'elle aimait un docteur qui le lui avait demandé, elle navigue maintenant depuis sept ans à découvert. “Dans l'anonymat de la rue, on peut sans autre marcher sans voile. Ce sont étonnamment les amis qui vous regardent avec le plus reproches...” Sur cette question sensible, ce qui amuse le plus Soha, c'est que les auteurs égyptiens qui écrivent pour l'émancipation des femmes ont tous des femmes voilées.

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  • Ashraf Ibrahim, un pont entre les deux rives (3/5)

    L'idée initiale était de vous parler de ses recueuils de poèmes publiés sur le site Kotobarabia.com. Il aurait été question de l'amour de la langue arabe qui l'anime depuis son entrée dans un Kuttâb (école coranique) à l'âge de 5 ans. Et puis débattre de la main-mise culturelle du Parti national démocratique, au pouvoir, et de l'appartenance récurrente des écrivains aux institutions culturelles (le mot kâtib définit celui qui met ses compétences de scribe au service du prince, autant que la notion moderne d'écrivain)... Seulement voilà, Ashraf Ibrahim, 38 ans, est aussi sur le point de concrétiser une oeuvre intelligente, naviguant entre écriture et peinture, entre Europe et Egypte. Juste le bon format pour “Notre Mer”.

    1763576277.jpgMEMORY'S MAP Le projet est né en résidence d'artiste à Vienne en 2007. Ashraf Ibrahim y retrouvait un ami égyptien installé en Autriche depuis cinq ans, un ami qui, las de lui expliquer comment se rendre dans tel ou tel endroit, finit par lui offrir un plan de Vienne : acte peu anodin venant d'un Égyptien.

    Ashraf réalise alors que les cartes sont essentielles pour les Européens. “Ils les utilisent comme on utilise un téléphone portable, alors que les Arabes ne leur font pas confiance, peut-être parce que ceux qui les ont dessinées, ceux qui ont définit nos frontières, étaient les envahisseurs...” Dépucelage cartographique donc, sans toutefois cesser de se demander comment peut-on ainsi réduire la complexité d'une ville.

    645763551.jpgAshraf finit peu à peu par considérer la mémoire humaine comme une succession de plans "tapissés" par nos actions. Il traite les cartes comme des “textes visuels”, en y peignant des formes et des couleurs pour élaborer une “carte des émotions, des idées et de la mémoire”.

    1617720843.jpgAinsi peindra-t-il sur un millier de plans de Vienne (70 x 100 cm), de ces cartes gratuites que l'on distribue dans les gares aux touristes. Mises bout à bout, il les affichera ensuite contre un édifice qu'il finira par recouvrir complètement. Mais pas n'importe quel édifice.

    858505151.jpgDans le Downtown du Caire, beaucoup de bâtiments datant du début du XXe sont d'architecture austro-hongroise : l'Abdin Palace, le Nestor Gianaclis Palace ou le Prince Kamal El-Din Palace, tous trois magnifiquement restaurés. A proximité de la rue Champolion se trouve une bâtisse austro-hongroise autrement moins pittoresque et franchement plus délabrée. Le palais du Prince Said Halim Pasha (photo), construit en 1901, est aujourd'hui aux mains du Ministère de la Culture pour en faire - peut-être un jour, insh'allah - un Musée du Caire. Sans attendre, Ashraf se propose de lui redonner du sens l'espace de quelques semaines :

    Au Caire, un palais d'architecture austro-hongroise sera donc recouvert de plans de Vienne, eux-mêmes recouverts de formes révélant les états d'âme d'un Égyptien, le tout sur un fond de Strauss et de Mozart, avec des projections d'extraits de poèmes d'Ashraf Ibrahim, écrit à la main, en arabe.

    D'une rive à l'autre, notre mer.

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  • Hoda Hussein, poétesse sans concession (2/5)

    LE FANTÔME

    Je dois faire semblant de mourir
    pour que tu puisses rassembler tes morceaux
    éparpillés dans l'air
    et te tenir debout devant moi.
    Ô pauvre fantôme!
    Est-ce à tel point
    que ma matière te fait peur ?

     

    Quand ses jumeaux lui laissent un peu de répit, la poétesse Hoda Hussein s'adonne au piano, le matin, et à la peinture, le soir. Un côté "touche-à-tout" hérité d'un parcours singulier. Née au Caire en 1972 d'une mère originaire d'Alexandrie (l'esprit méditerranéen) et d'un père nubien (la conscience minoritaire), élevée dans un cadre de vie musulman, mais formée dans une école française catholique, Hoda Hussein voit large. Rencontre avec cette auteure et traductrice sur les quais d'Alexandrie, au pied du fort Qaït Bey (photo), bâti sur l'emplacement du fameux Phare, pour goûter aux meilleures glaces aux dattes de la ville. Parole de Hoda.

    1014125095.jpgALEXANDRIE Une petite notoriété glânée en publiant des nouvelles dans des magazines lui avait permis d'intégrer, en 1996, une publication subventionnée destinée aux “jeunes révélations”. Un gros tirage (3000 exemplaires), mais aucun échos dans la presse et peu de succès en librairie. On l'accusa d'avoir été pistonnée. “Il est toujours plus aisé d'attaquer les femmes et les jeunes.” De surcroît, le comité éditorial avait refusé de publier une nouvelle parlant de Dieu. Intitulée “J'aperçois la réalité de mon père”, ce texte ne sera publié que huit ans plus tard.

    Hoda Hussein rejoint ensuite El Darat, une maison d'édition privée qui publie une revue de poésie égyptienne contemporaine. Sans aide, mais sans censure.

    Depuis, elle poursuit sa recherche artistique à son rythme, en toute honnêteté de coeur, même si elle sait ce qu'il faudrait faire pour écrire un best seller : “parler du complot juif, d'astrologie, de recettes pour gagner de l'argent sans effort, de la question du voile ou de la vie des acteurs de cinéma”. Selon elle, le ministère de la Culture est pareseux. Il ne va pas chercher les talents. “Le seul moyen de percer est de passer à la télévision ou adapter son roman au cinéma”. Elle cite bien sûr l'exemple du L'Immeuble Yacoubian de Alaa El Aswany (Actes Sud, 2006), adapté au cinéma avec le plus célèbre acteur égyptien, Adel Imam. Carton assuré.

    TRADUCTION FRANÇAISE En 1997, un éditeur lui commande sa première traduction : Ecrire de Marguerite. Ce livre la bouleverse, elle accepte. Mais la plupart du temps, Hoda fonctionne au coup de coeur. Elle avait une fois inscrit “jeune auteur” sur Google, avait fait l'impasse sur tout ce qui venait de Paris (une vieille rancune contre un policier parisien qui ne lui avait pas répondu lorsqu'elle avait demandé son chemin...) et avait découvert par hasard Franc Bijoux, auteur de Mettre fin. Elle le contacta directement et commença la traduction sans savoir s'il y aurait preneur. Il y eut preneur.

    Depuis quatre ans, elle planche sur la traduction d'un livre qui parle d'une anorexique internée. Elle trouve le sujet "très égyptien" : “soit tu manges ce qu'on te donne, tu vends ton âme mais tu es tranquille, soit tu ne manges pas et tu restes internée”.

    VOIX DE LA MÉDITERRANÉE En 1999, lors de sa première participation aux Voix de la Méditerranée, festival de poésie qui se déroule en France au mois de juillet, elle 1465796.jpgaccompagnait quatre écrivains égyptiens. “Pour ne pas passer pour des phallocrates, il fallait inviter une femme”. Un souvenir mitigé. Suite à une lecture qu'elle avait donnée en tandem avec une auteure israélienne, Ronny Someck, on l'accusa à son retour de "normaliser avec les Juifs"... Non, le boycott du dernier Salon du Livre de Paris n'était pas une révolution.

    PS 1 : Version audio bilingue du poème “La Porte” lue par Hoda Hussein, en arabe, puis par Anne Parian, en français.

    PS 2 : Recueil de poèmes consacrés au Café Horreya (“Liberté”), près de Bab el Louk, au Caire, dans lequel elle avait passé dix journées entières à reconstituer son athmosphère.

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  • Gamal Maqqar, conteur avant tout (1/5)

    - Vous ne devriez pas. Un shisha équivaut à trente cigarettes...
     
    L'oeil malicieux, le rictus ironique, il s'adresse à un étranger attablé au café New Sun, un porte-cigarette dans la main. “Vous êtes ici en touriste?” J'hésite. Puis réponds, comme pour m'en convaincre, que je suis écrivain, que l'organisation suisse Pro Helvetia m'a offert une résidence d'écriture au Caire, que... “Moi aussi, je suis écrivain!”, rétorque-t-il de manière plus franche. Et comme pour le prouver, il fait sortir comme par magie de son veston un article lui étant consacré. “Allez, je vous emmène dans le vrai Caire! Downtown n'est pas Le Caire. Venez à la maison...”

    1649767351.jpgOnze stations de métro plus au nord, nous voilà donc à Ain Shams (“les yeux du soleil”), une banlieue cairote peu reluisante bâtie sur la ville antique de Héliopolis. Au marché (qu'il appelle sa caverne d'Ali Baba), il prend son temps, visite les différents étals, s'enquiert du prix, échange quelques mots avec les vendeurs, puis choisit une à une ses patates, les soupèse, ses tomates, les renifle, ses concombres. On croit Gamal Maqqar lorsqu'il dit pouvoir chercher un mot une nuit entière.

    104230625.jpgHELIOPOLIS Rue El Zahraa, l'immeuble vétuste appartient à la famille Maqqar. Il ne rapporte pas un sou, car la légisalation a gelé les loyers sur les barêmes d'il y a trente ans. Dans le hall d'entrée, une représentation de la Sainte Cène et une statue de la Vierge. Ses parents étaient coptes orthodoxes. Lui a lu le Manifeste de Saint Marx, a rejoint le Parti en 1975, puis a renoncé à tout engagmenent, aussi bien religieux que politique, pour poursuivre une lutte par les mots.

    548231338.jpgDans son bureau, un portrait de son frère décédé (“il a voyagé dans 68 pays”) et un transistor pour apprécier la voix de la diva libanaise Fairouz. Du papier journal sur la table, on épluche les légumes en parlant de littérature. Il montre son premier manuscrit, non publié, écrit à la main, une très belle écriture pour un sombre drame familial qui donne dans le crime et la drogue.

    MAQQAR L'ISOLÉ Né à Suez en 1955, Gamal Maqqar est devenu écrivain en 1991, lorsqu'un prix financé par le Koweit (Soaad El Sabbah's Contest) lui a été décerné pour sa nouvelle La nature n'a pas de merci sur les créatures misérables. Ont suivi le Prix du Conseil Culturel égyptien, en 1995, pour La Chanson du sang, et la récompense de l'Etat pour Les Bannis, en 1998. Cela n'a pas suffi. Gamal Maqqar continue d'écrire dans l'ombre. “Pour être reconnu, traduit ou invité dans les salons internationaux, il faut se faire voir dans les cafés de l'intelligentsia, au Zahret el Bostan, à l'El Atilah, au Nadoah Sakafia, au Souk el Hamideia...” L'hebdomadaire Al Ahram du 14 juillet 1999 avait titré un article le concernant: “Maqqar l'isolé”. Il aime citer l'écrivain irakien Saadi Youssef : “Je vis dans l'ombre et écris dans l'affrontement...”

    Selon Gamal Maqqar, il n'y aurait que 5'000 lecteurs en Egypte (vrai que dans le métro, on n'en rencontre pas un seul). “On n'a pas entraîné les Arabes à lire. Et contrairement aux Libanais, aux Syriens et aux Emiratis, les Egyptiens n'ont pas le temps de lire. D'autres soucis les préoccupent. Ainsi, malgré ses 80 millions d'habitants, un grand tirage égyptien ne signifie que 3'000 exemplaires. C'est pour cela qu'il faut absolument être traduit. Un éditeur de Beyrouth m'avait fait une proposition, mais les éditeurs libanais sont réputés pour être des voleurs...”

    Son éditeur actuel, Shorouk, lui reverse le 15% des ventes (un livre coûte en librairie environ quatre francs suisses). Un maigre salaire qu'il étoffe avec des prix (visiblement alignés sur les barêmes occidentaux, puisqu'il vient de toucher 10'000 dollars de la Sawiris Foundation For Social Developpement!). Mais puisque ces “cadeaux du ciel” sont rares, il travaille à plein temps comme comptable et écrit la nuit (au Caire, on écrit la nuit, quand la ville s'apaise enfin).

    L'auteur n'est pas tendre avec les ouvrages français contemporains: “Je ne comprends pas ce que les auteurs veulent dire. Les écrits ambigus créent des âmes ambiguës. C'est à cause d'eux que de plus en plus de personnes se tournent vers la télévision pour retrouver un message simple...” Gamal, lui, garde les pieds sur terre. Quand on lui demande de quoi parle son prochain livre, il respire profondément, fait briller ses yeux et entame un monologue enjoué de trois-quart d'heure, larges gestes à l'appui. De ces moments de Joie que seul le voyage peut offrir...

    2041392383.2.jpg...il faut l'accompagner une journée dans “sa" campagne pour saisir la force de ce lien qui l'unit au monde (qui tant fait défaut chez les scribes de nos latitudes). Assis, silencieux, l'âme en éveil, le doigt près de la gâchette, prêt à capturer le premier beau mot venu. Le déplumer, le faire mijoter et le savourer en compagnie de personnes qui apprécient les bonnes choses.

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  • Marsa Matrouh, l'Egypte par la bonne porte

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    Au bon endroit, au bon moment. Loin des côtes surfréquentées de la mer Rouge et juste avant 339527761.jpgl'invasion des Cairotes assoiffés d'oxygène. Tout à l'ouest du littoral égyptien, la ville de Marsa Matrouh offre au premier venu des kilomètres de sable blanc et d'eau turquoise. A partir de là, on peine à imaginer comment un être humain (un certain Erwin Rommel) a-t-il pu songer à y établir le quartier général de l’Afrikakorps. Mais c'est une autre histoire.

    *

    49064495.jpgHORS SAISON Dans les immeubles sortis de terre ces dernières dix années, les appartements sont presque tous vides et les discothèques ne sont encore que des enseignes. Les haut parleurs ne hurlent pas leur musique à tous les coins de rue et les chaînes de fast food ouverts 24h sur 24h tournent au ralenti. Douceur du mois d'avril. Ceux qui travaillent retapent lentement les dalles de la promenade. Ceux qui ont travaillé font une partie de foot sur le sable, avec la tenue complète de la Juventus ou le traditionnel gallabiya, moins  pratique. De quoi s'écorcher les pieds jusqu'au sang, suer de tout son corps et se sentir revivre. Jusqu'au coucher du soleil. Puis bavarder. Bavarder. Et bavarder encore.

    *

    717559246.jpgLES MULETS TRAFICANTS Pas moyen de faire taire cette satané manie de dégainer l'appareil à la première "bizzarerie". Le compte à rebours des feux rouges (comme dans la Grande Pomme) ou les panneaux interdisant l'usage du klaxon (une vraie plaisanterie égyptienne). Ou plus gros : quand on vient de Libye, ce qui "attrappe" l'oeil à la douane de Sallum, ce sont... les ânes. On comprend les origines du sobriquet que les Libyens emploient volontiers pour qualifier leurs voisins. “Donkey”...

    On me dit qu'au début des années 90, cette ville n’était pas desservie par les transports en commun et que pour se déplacer, il fallait recourir aux carretas, sorte de charrettes améliorées tirées par des ânes. On me dit aussi que les traficants de Marsa Matrouh utilisent parfois des ânes pour acheminer des armes et de la drogue en provenence de Libye et d'Italie. Les ânes connaissent le chemin par coeur et ne seront pas frappés par les gardes-chiourme. On me dit enfin que "grâce" à ces trafics, les policiers sont ici encore plus nombreux qu'ailleurs en Egypte et que Marsa Matrouh est la ville la plus sûre du pays.

    *

    279790186.jpgDemander son chemin à un jeune homme qui dit être professeur d'histoire biblique, qui me présente sa méthode, qui court les écoles pour dispenser une leçon hebdomadaire à tous les jeunes de 15 ans, qui est pressé, mais qui prend le temps de me faire visiter la chapelle Copte... Sept millions de Chrétiens vivent en Egypte.

    *

    1026851634.jpgAU PAIN SEC ET A L'EAU Monté sur la 336496096.jpgplateforme d'un pick-up, un vendeur de pain essaie de répondre à la demande. Même si la "crise" s'est résorbée ces derières semaines, les files d'attente devant les débits de pains subventionnés, vendus moins d'un centime suisse pièce, sont toujours impressionnantes...

    Sur le sable blanc ou dans les files d'attente du pain subventionné, c'est pourtant le même soleil.

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  • Un petit coup de “bokha” en attendant ce satané visa

    Quand Moussah en a sa claque, il n'y va pas par quatre chemins. Il emprunte celui des bas quartiers de Tobrouk à bord d'un taxi. Un taxi qui majore sa course. Prime de risque. La route se fait piste, les quartiers se font taudis et la vie ralentit. Moussah tend cinq dinars (autant de francs suisses) à un homme appuyé contre un mur et le taxi redémarre. Au bout de la ruelle, Moussah réceptionne la commande, un sachet en plastique rempli d'un demi-litre de “bokha”. Ça se passe comme ça chez Kadhafi !

    1386750024.jpgTOBROUK Ici aussi, les lois n'existent que pour être contournées. Neuvième producteur mondial de dates, la Libye ne se prive pas de les distiller, surtout dans les oasis de Zlita et de Waddan. Ainsi peut-on trouver un peu partout ce breuvage pas franchement divin, mais bien meilleur marché que le whisky, vendu une centaine de dollars la bouteille sur le marché noir.

    Sur le chemin du retour, le chauffeur recommande la discrétion, puis, montrant sa carte d'accréditation, finit par avouer que lorsqu'il n'est pas chauffeur de taxi, il est... policier ! Fou rire général. Et comme si cela de suffisait pas, il cherche à revendre un morceau de haschisch algérien...

    Moussah cumule aussi les emplois. “J'ai de l'argent, ce n'est pas le problème.” Il est de ceux qui fument des Marlboro, les plus chères. Il dirige deux entreprises. “En réalité, elles font le même travail, mais si l'Etat décide d'en surtaxer une, jugeant qu'elle menace ses propres intérêts, je peux sans autre changer d'adresse.” Moussah conserve également un partiel administratif au commissariat de police, un emploi alibi qui lui évite de remplir ses obligations militaires.

    Quand il ne travaille pas, Moussah regarde des films américains. Film sur film, un vrai cinéphage. Négligeant les vieilles salles obscures, il se paie des tonnes de dévédés (qui coûtent à l'unité autant qu'un demi-litre de bokha). Un cadeau du ciel, même si dans certains plans, on voit défiler des ombres devant l'écran (ces versions piratées ont été tournées en douce dans des salles de cinéma).

    2131243391.jpgParfois, la fiction ne suffit pas. Moussah n'entends plus le muezzin rappeler ses fidèles (photo). Au second verre, Moussah est tout entier dans sa colère. “Ma mère veut me marier cet été avec une Berbère. Simplement parce que je suis berbère. Je ne l'ai jamais vue. J'attend le verdict de mon père. Et j'en ai marre d'entretenir des amantes secrètes qui me demandent une nouvelle robe, une montre, un téléphone portable, etc. Tout s'achète en Libye !” Si Moussah dit ne jamais être tombé amoureux, il a adoré le film Titanic.

    Moussah a envie qu'on le laisse gagner sa vie, qu'on le laisse aimer. Il rêve d'Amérique. “L'ambassade de Tripoli n'est encore active que pour le pétrole, mais promis, sitôt qu'un service visa ouvre, je serai le premier de la file !” Il l'a vu dans les films. Là-bas, toutes les filles sont belles...

    Les Libyens éprouvent un profond attachement à leur terre dont ils sont fiers et qu'il ne veulent en aucun cas quitter”, avais-je lu quelque part. En réalité, les jeunes peinent à comprendre ce qu'un Suisse vient chercher chez eux.

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  • Marchés aux esclaves

    2140001194.jpgEn quittant Benghazi, je ne m'étonnais plus de la centaine d'ouvriers assis sur des cailloux autour d'un rond-point. Sous les arcades du centre-ville de Darnah (photo), même spectacle. Au carrefour principal de Tobrouk, là aussi, les immigrés, pour la plupart égyptiens, attendent patiemment leur maître quotidien.

    Les pantalons bariolés de peinture, certains rescucitent de vieux pinceaux. D'autres s'échangent des feuilles de papier de verre. Les plus vieux fument simplement le shisha, alors que les nouveaux venus attendent debout, près de la route, car ils en veulent et ignorent que le meilleur moyen de trouver du travail est de connaître quelqu'un qui possède un téléphone portable, quelqu'un qui peut gérer une équipe avant même que le véhicule arrive.

    Lorsqu'un "maître" gare son véhicule, on marchande le prix de la journée, à grands cris, entre 5 et 15 dinars (autant de francs suisses), plus qu'un ouvrier pourrait espérer gagner en Egypte. Affaire conclue, l'embauché lance ses outils sur la plateforme du pick-up. Les belles voitures craignent de salir leur banquette arrière. On arrange un morceau de carton protecteur.

    492458332.jpgCela fait au moins les affaires des quatre échoppes à thé qui jouxtent le carrefour de Tobrouk (photo). La police passe et repasse. Tous les ouvriers sont en situation irrégulière, mais "sans ordre, la police ne fait rien", me dit-on. Une société d'hommes enturbannés continue donc de parler par petits groupes. La moustache de ralliement, les cheveux poussiéreux, la gallabiya en loque, des sandales bas de gamme que l'on use jusqu'au bout...

    Les femmes qui passent par là empruntent l'îlot central.

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  • Tobrouk : une prière pour la paix

    1502058023.JPGC'est un trou sans verdure où ne coule aucune rivière. Un trou où perdure la certirude qu'il n'existe pas d'arguments plus convaincants pour la paix qu'un alignement de tombes de soldats. A Tobrouk, tout à l'est de la Libye, elles sont légions (photo prise depuis le cimetierre allemand).

    L'insurrection libyenne contre les colons italiens venait de se tarir lorsque la deuxième Guerre mondiale éclata. De 1940 à 1942, entre Benghazi et El-Alamein, en Egypte, Italiens et Allemands, emmenés par Erwin Rommel, s'opposèrent aux troupes du général Montgomery (Australiens, Indiens, Africains du Sud, Anglais, Polonais, Français...). Le champs de bataille le plus fameux est celui de Tobrouk.

    1001498826.jpgJUIFS TOMBÉS POUR LA LIBYE Au cimetierre militaire du Commonwealth, parmi les 2'479 tombes, le visiteur est surpris du nombre conséquent des soldats juifs morts en Libye pour chasser les Italiens (photo). Les Juifs, ces "Gens du Livre” (ahl al-kitâb) dont parle le Coran... En 1948, 30'000 des 35'000 Juifs vivant en Libye partirent s'établir en Israël. A l'avénement de la révolution libyenne, en 1969, les Juifs furent chassés définitivement du pays en même temps que les derniers 30'000 colons italiens. En 1974, moins d'une centaine de Juifs subsistaient. Officiellement, il n'y en a plus aucun aujourd'hui.

    630552674.JPGMUSULMANS TOMBÉS POUR LA FRANCE Au cimetierre français de Tobrouk sont inhumés 300 soldats morts lors de la bataille de Bir-Hakeim en 1942. Le nombre des dépouilles de Musulmans (photo) "morts pour la France" est tout aussi conséquent... Et y lire les paroles du Général de Gaulle, émises depuis Londres en juin 1942, gravées à tout jamais sur la pierre: “Le monde a reconnu la France quand un rayon de sa gloire renaissante est venu caresser le front sanglant de ses soldats...”

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  • Du littoral découpé dans un morceau d'éden

    582386683.jpgSUSAH Quittant les hauts plateaux du Djebel al-Akhdar, la route redescend abruptement vers la mer, les ruines grecques d'Appolonia et594391653.jpg une usine de désalinisation (photo). A Susah, l'ancien marché italien tombé en ruine n'accueille qu'un musée fermé. Le Beau est ailleurs, tout au long de la côte de la Cyrénaïque, entre Susah et Darnah.

    1440854951.jpg328737961.jpgGrèves, falaises et plages se succèdent. Un univers brut. Une côte absolument pas exploitée. Pas un toit, pas un barbelé, pas une ordure prises dans les buissons. Juste une station météorologique, des étudiants qui font du stop près des dos d'âne, des moutons au milieu de la route, et des vaches, mieux éduquées, traînant le sabot sur le côté.

    315593711.jpg1053973732.jpgA la sortie de Ras-al-Hilal, un bateau est venu s'échouer sur le rivage lors des tempêtes du mois dernier. Il y sera probablement toujours l'an prochain.

     

    1951127063.jpgDARNAH La magie cesse un peu avant Darnah (photo) lorsqu'un panneau informe le passant que la compagnie coréenne Won est en train de construire un millier d'appartements dans une cité jouxtant l'usine électrique.

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